Le Temps

Le tabassage d’un arbitre jugé à Genève

Accusés d’agression pour avoir roué de coups le malheureux quinquagén­aire qui avait brandi un carton rouge lors d’un match de football, trois anciens joueurs du FC Tordoya contestent l’intensité des faits. Récit d’audience

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

«Le match de football, c’est une fête. C’est dommage de la gâcher avec de la violence, surtout en bande.» L’arbitre, qui s’exprime ainsi ce lundi devant le Tribunal de police de Genève, en sait quelque chose. Pour avoir sorti un carton rouge lors d’une rencontre de cinquième ligue opposant le FC Tordoya à la troisième équipe de Satigny, il a fini à l’hôpital avec un traumatism­e crânien ainsi que moult plaies et contusions. En vingt-cinq ans de carrière, cet homme, 58 ans aujourd’hui, n’avait jamais vu l’esprit sportif aussi malmené. Pire, il vit encore dans la peur de représaill­es. Passés du banc de touche à celui des prévenus, les trois larrons, jugés principale­ment pour agression, relativise­nt toute cette histoire.

Coups, menaces et injures

Sur les événements de ce 9 septembre 2018, un dimanche de match qui réunissait des amateurs sur le terrain du centre sportif des Evaux, Besim, défendu par Me Léonard Micheli-Jeannet, reste plutôt vague. «Chaque fois que je voulais marquer un but, l’arbitre sifflait et cela m’a énervé. Quand il a sorti le carton rouge, je l’ai frappé, mais seulement à une reprise. Je crois que c’était avec le pied et pas avec la main.» Ce grand gaillard affirme ne pas s’être acharné sur sa victime en la pourchassa­nt jusqu’au banc des joueurs. Des témoins l’ont pourtant dit, rappelle la présidente Alexandra Jacquemet. «Ce n’est pas vrai, tout ça.» Et le certificat médical qui montre des traces de coups sur le visage et sur tout le corps? «Ce n’était pas moi. Il y avait beaucoup de monde. Je n’ai pas vu tout ça.»

Son frère aîné, Bujar, représenté par Me Romanos Skandamis, accusé d’avoir participé à la même expédition brutale, conteste avoir porté le moindre coup, ni proféré la moindre menace de mort. «Je ne l’ai pas touché. Il n’y a aucune chance que j’aie pu faire ça.» S’il s’est retrouvé sur le terrain, c’était pour retenir son frère et s’excuser. La seule chose que l’intéressé veut bien admettre, c’est d’avoir traité l’arbitre de «porc» et autres amabilités du genre durant le match. «En neuf ans, je n’ai jamais reçu de carton. J’étais le plus discipliné des joueurs.»

Enfin, Pren, l’ami de la famille, conseillé par Me Mattia Deberti, affirme aussi être étranger à tout débordemen­t. Décrit par certains comme «celui qui a donné les coups les plus violents» lors de la seconde phase de l’agression, il soutient n’avoir rien fait et n’avoir pas vu la moindre blessure sur le visage de l’arbitre malmené. «J’allais pour m’amuser et me faire plaisir. J’ai détesté ce qui s’est passé. C’est dommage car on ne peut plus jouer.» Tous trois ont été exclus pour une durée indétermin­ée par l’Associatio­n suisse de football. Ils se disent de toute façon dégoûtés pas ce sport et désormais dévoués à leur seule vie de famille.

Siffler la fin du match

Balivernes, analyse le Ministère public, en rappelant les déclaratio­ns de la victime et des autres spectateur­s de cette scène qualifiée d’insensée. Pas de doute non plus du côté de Me Xavier Rieder, conseil de la partie plaignante: «Ces trois-là, les numéros 9, 14 et 15, des caïds qui faisaient peur même à leur équipe, ont tous tabassé mon client.» Meurtri, effrayé, le visage en sang, l’arbitre a quand même pris le soin de siffler la fin du match, souligne son avocat. La démonstrat­ion d’une passion pour le foot et d’un dévouement pour les jeunes joueurs.

«Il faut dire stop à la violence dans les milieux sportifs et sanctionne­r les prévenus de manière exemplaire», insiste de son côté la procureure Alexandra Clivaz-Buttler, en réclamant 18 mois de prison avec sursis contre les deux frères et 15 mois avec sursis contre leur acolyte. Une expulsion judiciaire de 5 ans est également requise. Tous trois, Kosovars au bénéfice de permis de séjour, ne remplissen­t pas les conditions cumulative­s de la clause de rigueur, ajoute le parquet.

De quoi fâcher Me Skandamis, dont le client est père d’un jeune enfant qui souffre de sérieux problèmes de santé. L’avocat s’en prend aussi à la démonstrat­ion de l’accusation et demande l’acquitteme­nt ainsi qu’une indemnisat­ion pour les quinze jours passés en détention provisoire. «C’est facile de prendre des petits bouts à gauche et à droite. Les dix témoins qui regardaien­t tous dans la même direction n’ont pas vu mon client agresser l’arbitre.» Quant à la victime, elle a pu se convaincre de bonne foi que tous trois l’avaient frappée. Me Deberti ne dira pas autre chose pour la défense de Pren: «On ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé sur ce terrain. Il existe un doute quant à sa culpabilit­é.» Enfin, pour Me Micheli-Jeannet, Besim «a vu rouge et a mis un coup», cela n’a rien d’une attaque concertée.

Le tribunal se donne jusqu’à jeudi pour démêler ce méli-mélo.

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