Le monde d’après sera différent et plus dangereux
Le Covid-19 aura un impact durable sur le développement humain, les organisations internationales, la politique intérieure des Etats et le rôle des acteurs non étatiques. C'est le choc le plus violent depuis la Seconde Guerre mondiale, et ses effets se déploieront sur de longues années. La force de résilience et la capacité d'adaptation dont nous nous sommes tellement vantés se sont révélées inopérantes et font place à une plus profonde incertitude. Telle est l'une des conclusions du rapport sur les «Grandes Tendances mondiales» que le Conseil américain des agences de renseignement vient de publier comme il le fait tous les quatre ans au lendemain de l'élection présidentielle. Quelles sont les forces à l'oeuvre pour façonner le monde de 2040? C'est l'objet de cette étude prospective originale et sans prétention, qui se concentre sur les lames de fond qui modifieront le paysage et la vie sur la planète au cours des vingt prochaines années.
Le Covid-19 a accéléré la prise en compte des systèmes de santé, tout en mettant en lumière les inégalités dans l'accès aux soins et aux infrastructures selon les régions et les pays. Il a mobilisé les ressources en personnel, en matériel et en financement dans la lutte contre le virus, au détriment des objectifs d'éradication du paludisme, de la rougeole ou de la poliomyélite que la communauté internationale s'était assignés.
La faiblesse de la coopération internationale, les limitations apportées au rôle de l'OMS, la résurgence des nationalismes et la polarisation accrue dans les sociétés ouvertes sont autant de réalités que le Covid-19 a mises en évidence, tandis que les Etats autoritaires renforçaient l'appareil de surveillance et la répression contre «leurs» dissidents sous prétexte de lutte contre la pandémie. Celle-ci va ralentir la croissance mondiale, les pays en développement auront plus de mal à maîtriser le poids de la dette.
Le rapport indique plus généralement que la démographie restera un facteur primordial d'évolution dans le monde: le vieillissement des sociétés en Chine, au Japon, en Europe occidentale et dans l'Asie du Sud peut ralentir la croissance économique. En revanche, l'Amérique latine, l'Asie du Sud et le Moyen-Orient ont des populations jeunes, qui peuvent développer leurs économies si les infrastructures et l'éducation y sont mieux gérées. Au même titre, les phénomènes liés au changement climatique – tempêtes et ouragans, inondations, vagues de chaleur – pèseront sur le monde, entraînant notamment une migration plus accentuée et plus difficile à absorber. En vingt ans, le nombre de migrants a augmenté de 100 millions de personnes et totalise aujourd'hui 270 millions.
Les découvertes en matière de nouvelles technologies, l'intelligence artificielle et l'internet des objets vont à la fois créer des opportunités – les économies des pays industrialisés pourront mieux compenser les effets du vieillissement s'ils savent les exploiter – et augmenter les disparités à l'intérieur des sociétés: des emplois requérant de nouvelles aptitudes et notamment une plus grande capacité d'adaptation vont se multiplier, remplaçant sans transition les activités traditionnelles. Cependant, les Etats et les organisations internationales sont mal outillées pour prévenir ou neutraliser les conséquences de ces transformations: les populations perdront de plus en plus confiance dans les politiques de leurs gouvernements et l'insatisfaction nourrira la contestation, mettant à mal le fonctionnement des démocraties.
L'information se développera le plus souvent en silo, à chacun sa vérité. La rivalité entre la Chine et les pays occidentaux deviendra une structure permanente de la vie internationale, lourde de menaces potentielles, tandis que l'inefficacité des organisations internationales deviendra systémique, donnant un rôle plus large aux acteurs non étatiques et aux partenariats public-privé. Le rapport présente enfin divers scénarios possibles, tout en se voulant modeste et conscient que des facteurs aujourd'hui inconnus peuvent encore modifier l'image projetée. ■