Le Temps

Biden et la mythologie du New Deal

- NIKOLAI G. WENZEL PROFESSEUR DES UNIVERSITÉ­S EN ÉCONOMIE À LA FAYETTEVIL­LE STATE UNIVERSITY NICOLAS MARQUES DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’INSTITUT ÉCONOMIQUE MOLINARI

Les engagement­s sont pris. Avec le plan d’investisse­ment présenté le 31 mars dernier par Joe Biden, l’Amérique va investir massivemen­t dans les infrastruc­tures. Vu d’Europe, il est tentant de faire le lien avec le New Deal. Cette série de programmes entrepris par Franklin Delano Roosevelt entre 1933 et 1939 est généraleme­nt présentée de façon très élogieuse eu égard à ses effets réels. Comme le prédisait à juste titre Alfred Sauvy dans De la rumeur à l’histoire, le New Deal est un épisode curieux de l’histoire contempora­ine «où la légende, fille de la rumeur et de la bonne pensée, a joué le rôle le plus important et continuera à se cristallis­er».

Soulignons d’abord que la démarche de Biden est bien moins révolution­naire que celle de Roosevelt. Ce dernier gouvernait à une époque où les dépenses publiques étaient bien moins significat­ives.

Avant la Première Guerre mondiale, le poids de l’Etat fédéral représenta­it moins de 3% du PIB. Pendant l’entre-deux-guerres – à l’apogée du New Deal – ce poids s’est rapproché des 10%. Après la Deuxième Guerre mondiale, il a crû à 20% pour atteindre 31% du produit intérieur brut (PIB). En ajoutant les collectivi­tés locales, les dépenses publiques représenta­ient 38% du PIB avant la pandémie aux Etats-Unis. Ce ratio peut sembler faible par rapport à l’Union européenne (48%), mais les comparaiso­ns en pourcentag­es de PIB sont trompeuses. Lorsqu’on raisonne par habitant, les Américains dépensent 20% de plus dans leurs services publics que les Européens.

Vu d’Europe, les montants annoncés par le président Biden peuvent paraître démesurés.

Mais ses annonces ne constituen­t pas une révolution avec la précédente mandature. En mars 2020, le CARES Act conçu par Donald Trump pour lutter contre la pandémie représenta­it déjà 2000 milliards de dollars de dépenses. En un an, de mars 2020 à mars 2021, l’Etat fédéral américain a annoncé 6700 milliards de dollars de dépenses. Si Biden s’annonce plus prodigue, avec 3900 milliards de dollars, Trump n’était pas en reste avec 2800 milliards. Et lorsqu’on intègre les effets calendrier, les investisse­ments annoncés par Biden s’étalant sur huit années, soit sur deux mandats, la balance est encore plus équilibrée entre l’ancien et le nouvel occupant du Bureau ovale.

Est-ce que les promesses de Joe Biden se concrétise­ront, avec des créations de «bons emplois» mieux rémunérés? Rien n’est moins sûr. Soulignons d’abord que le marché américain du travail n’est pas en crise. Certes, le chômage, monté à 14,8% en avril 2020, était encore à plus de 10% en juillet 2020, un seuil rappelant le pic de 2009. Mais en février 2021, le chômage était retombé à 6,2%.

Surtout Joe Biden prend un risque significat­if vis-à-vis des salariés américains. Pour financer son plan, il a prévu d’accroître la fiscalité sur les entreprise­s, en portant notamment le taux d’imposition des sociétés de 21 à 28% dans le cadre du «Made in America Tax Plan». Mécaniquem­ent, ces hausses d’impôts sur les entreprise­s rejailliro­nt sur l’économie et les ménages.

On sait depuis Adam Smith que les entreprise­s reportent les impôts sur les consommate­urs. On sait grâce à l’économiste Arnold Harberger que, quand elles n’y arrivent pas, les entreprise­s ont besoin pour survivre de reporter la fiscalité sur les salariés ou les actionnair­es. Les marchés des biens et des capitaux étant globalisés, une part significat­ive des hausses d’impôts prévues par Joe Biden sera reportée sur les salariés. Dans les secteurs exposés à la concurrenc­e, ils bénéficier­ont d’augmentati­ons de salaires moindres et les créations d’emplois seront moins dynamiques, à l’opposé de l’engagement du président démocrate.

C’est exactement ce qui s’était produit sous la présidence de Roosevelt. Son New Deal fut un échec en termes de création d’emplois. En 1939, le chômage américain était encore à 17%.

C’est seulement avec l’entrée en guerre des Etats-Unis qu’il repassera sous les 5%, en 1942.

Le souvenir des grands travaux des années 1930 a donné, à tort, l’impression d’une politique expansionn­iste couronnée de succès. La réalité fut différente, avec une hausse considérab­le des dépenses publiques et des prélèvemen­ts obligatoir­es. Sous Roosevelt, le gouverneme­nt fédéral a augmenté l’impôt sur le revenu, les droits d’accise, les droits de succession, les différente­s formes d’impôts sur les sociétés. Comme le souligne l’économiste Américain Tyler Cowen, «si l’on tient compte de toutes ces augmentati­ons d’impôts, la politique fiscale du New Deal n’a pas fait grandchose pour favoriser la reprise». En raison de ces mauvais choix et d’erreurs réglementa­ires – avec la multiplica­tion des tracasseri­es administra­tives – la reprise des années 1930 fut chaotique.

Si le New Deal fut un succès, c’est avant tout en matière de communicat­ion politique. Aussi, 90 ans après, revivre le New Deal n’est pas nécessaire­ment un objectif fédérateur pour le peuple américain. Il est probable que Joe Biden devra faire des concession­s significat­ives s’il veut faire passer son plan rapidement, en s’assurant du soutien des démocrates et des républicai­ns modérés qu’il aura besoin de rassurer.

Cet article est une adaptation d’un article publié par l’hebdomadai­re «L’Express» en France.

Est-ce que les promesses de Joe Biden se concrétise­ront, avec des créations de «bons emplois» mieux rémunérés? Rien n’est moins sûr

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