Le Vieux-Continent n’a pas intérêt à snober les SPAC
Et si la folie de Wall Street contribuait à creuser encore le fossé économique qui sépare l’Europe des Etats-Unis? Depuis le début de l’année, plus de 250 nouvelles special purpose acquisition companies (SPAC) ont été cotées à Wall Street, plus déjà que sur toute l’année 2020.
Egalement surnommées sociétés-chèque en blanc, voire «coquilles vides», ces entités ont pour unique vocation l’acquisition d’une entreprise qui, souvent, n’est pas encore connue. Le fondateur du SPAC a deux ou trois années pour choisir sa promise, une start-up ou une entreprise établie avec laquelle il convolera en justes noces.
L’engouement actuel est largement alimenté par l’abondance de liquidités injectées ces derniers mois dans le système financier. Fin mars, le gendarme financier américain a ouvert une enquête pour faire la lumière sur une activité dans laquelle les banques d’affaires se sont engouffrées. Depuis le début de l’année, plus de 80 milliards de dollars ont été levés par ce biais.
L’Europe s’y met lentement
Reste qu’aux Etats-Unis, des centaines de SPAC sont désormais à l’affût. Ils passent au crible le vivier mondial des sociétés technologiques jugées prometteuses. Pour ces dernières, une telle opération simplifie et accélère l’arrivée sur les marchés publics, une partie du travail étant déjà faite. Car la lourdeur et le coût des démarches menant à une entrée en bourse traditionnelle (IPO) sont souvent perçus comme des freins.
Ces inhibiteurs valent aussi en Europe où les SPAC suscitent, avec du retard, un intérêt croissant. Rare jeune pousse suisse à avoir fait une IPO l’année dernière, HEIQ a fusionné avec un SPAC pour démarrer sa cotation à Londres, levant au passage 70 millions de francs. Cet argent doit l’aider à prendre rapidement des parts de marché dans le domaine des textiles intelligents.
D’autres sociétés suisses pourraient bien l’imiter. Associée à la tête de la société L2Partners, Leti McManus craint toutefois que le marché soit pour l’heure limité dans notre pays. Les montants levés aux Etats-Unis par les SPAC dépassent souvent le milliard de dollars, ce qui préfigure des unions avec des scale-up, des sociétés en phase de forte croissance.
«Il ne faut pas oublier que c’est le SPAC qui cible l’entreprise qu’il souhaite financer et pas le contraire», insiste-t-elle. Pour elle, ce type d’alliance va donc devenir plus intéressant lorsque les SPAC européens se seront multipliés, présentant probablement une plus petite taille. A noter que pour l’heure, la création d’un véhicule financier de ce type n’est pas autorisée en Suisse.
En revanche, quelques sociétés helvétiques offrent déjà un profil attractif, à l’instar de la discrète start-up germano-suisse Wefox, active dans le domaine de l’assurance. D’autant plus qu’elle opère dans un secteur extrêmement concurrentiel, gourmand en capital de croissance.
Autre licorne née en Suisse opérant depuis Berlin, GetYourGuide ne dirait sans doute pas non à un soupirant financier. La plateforme de forfaits pour attractions touristiques est frappée de plein fouet par les conséquences de la pandémie.
Eviter de perdre davantage de terrain
Le fabricant de baskets zurichois ON – surtout connu pour son partenariat avec Roger Federer –, Beekeeper, basée dans le même canton ou, pourquoi pas, le développeur vaudois de drones Flyability pourraient représenter d’autres papables, car ils ont aussi pour point commun d’être en phase de commercialisation.
Pour tenir la dragée haute à leurs concurrentes au niveau international, ces entreprises ont en effet besoin des moyens financiers conséquents, qu’un SPAC est en mesure de leur livrer. En cas de demande de mariage, l’enjeu pour elles consistera surtout à bien évaluer leur futur compagnon de route, histoire d’éviter toute déconvenue.
Ecarter d’un revers de main la dernière marotte de Wall Street reviendrait en revanche à perdre encore plus de terrain par rapport aux autres puissances économiques mondiales. Peinant à valoriser leurs nombreuses pépites technologiques, ni l’Europe, ni la Suisse ne peuvent s’offrir ce luxe.
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