La sous-traitance pharmaceutique, secteur en plein essor
La pandémie a mis en lumière le modèle de la sous-traitance pharmaceutique. Elle contribue à couronner les leaders d’un secteur encore fragmenté. Le suédois PolyPeptide a choisi lundi la Suisse pour entrer en bourse afin de financer sa croissance
Elles s’appellent Siegfried, Bachem ou encore Celonic… Bien moins connues que Lonza, des centaines d’entreprises oeuvrent dans l’ombre des géants de la pharma pour aider à développer et produire les solutions mises au point.
Baptisé CDMO (Contract Development and Manufacturing Organizations), le modèle qu’elles suivent a vu le jour dans les années 80. Il est en plein essor. Le cabinet Grand View Research chiffrait ce marché à 148,5 milliards de dollars en 2019. Un montant qui pourrait se hisser à 224,9 milliards de dollars d’ici à 2025.
La Suisse, pôle de compétences européen
PolyPeptide entend profiter de cet élan. Pour accélérer sa croissance, le groupe suédois a annoncé lundi vouloir entrer à la bourse suisse (IPO), en principe durant le deuxième trimestre 2021. Dans un communiqué, Jane Salik, directrice générale de l’entreprise, a souligné le caractère logique du choix géographique opéré, «la Suisse représentant l’une des pôles les plus attractifs dans le domaine des sciences de la vie». La firme suédoise est par ailleurs, via une fondation selon l’agence d’informations financières Reuters, propriété du milliardaire Frederik Paulsen, installé sur les bords du lac Léman et à la tête du groupe pharmaceutique Ferring.
Pour piloter son IPO, la société a créé une holding dans le canton de Zoug. C’est depuis là que Raymond de Vre, le successeur de Jane Salik qui rejoint le conseil d’administration après 25 ans passés à la direction, dirigera les activités.
Spécialisé dans la fabrication d’acides aminés, PolyPeptide devrait ainsi se rapprocher de sa principale concurrente, Bachem, basée à Bubendorf (BL). Le groupe suédois emploie quelque 900 personnes réparties sur six sites certifiés pour les activités de production pharmaceutique. La société qui affichait l’an dernier un chiffre d’affaires de 223 millions de dollars fabrique notamment des ingrédients pour le vaccin candidat de la biotech américaine Novavax.
PolyPeptide n’est pas la seule CDMO à lorgner la terre natale de Novartis et de Roche pour soutenir son développement. Il y a quelques semaines, le chinois Wuxi, autre acteur du secteur, a racheté au groupe Bristol-Myers Squibb un site de production neuchâtelois pour mettre un pied en Suisse.
Selon Benoît Dubuis, directeur du Campus Biotech à Genève, la pandémie n’a fait que mettre en évidence un virage entrepris il y a une bonne vingtaine d’années: «Jusque-là, les entreprises pharmaceutiques étaient très intégrées verticalement, rappelle-t-il. Elles prenaient en charge toutes les activités, de la recherche à la commercialisation en passant par la production. Les entreprises se sont ensuite concentrées sur la recherche également en externe, les développements cliniques avancés et la commercialisation.»
«De tels partenariats abaissent les barrières d’entrée. Plutôt que de construire une usine, la pharma va acheter des capacités de production» MASSIMO NOBILE, RESPONSABLE DU PÔLE BIOTECHNOLOGIQUE INSTALLÉ À MONTHEY
L’intérêt de ce modèle est multiple, poursuit Massimo Nobile, responsable du pôle biotechnologique installé à Monthey, dans le Chablais valaisan: «De tels partenariats abaissent les barrières d’entrée. Plutôt que de construire une usine, la pharma va acheter des capacités de production, souvent à différents CDMO. Elle réduit par ailleurs souvent son risque en répartissant la fabrication sur plusieurs partenaires. L’avantage est enfin aussi commercial parce qu’il est plus facile d’entrer sur un marché si on a des partenaires locaux.»
Il en résulte un marché très fragmenté. Parmi les acteurs suisses incontournables du secteur, hormis Lonza, on peut citer Siegfried (AG), Bachem (BL), Celonic (BS) ou encore Serbios (TI). «Chaque société dispose de compétences qui lui sont propres. Selon leurs besoins, les pharmas vont se tourner vers tel ou tel sous-traitant», relève Benoît Dubuis, qui a participé à la fondation d’une entreprise de plus petite taille, Excelgene, toujours active à Monthey. C’est dans la plaine du Rhône valaisanne et, sans surprise, dans la région bâloise que sont actives la majorité des CDMO.
Report de la croissance et du risque
La conséquence de cette tendance industrielle, c’est qu’«une déportation de la croissance va se faire sur ces sociétés de services», observe Massimo Nobile. A ses yeux, le phénomène va se poursuivre parce que la crise du covid a mis en évidence un vrai manque de ressources de production au niveau mondial. Ce constat a validé la stratégie élaborée par Lonza qui se profile comme un «manufacturing hotel».
Comme dans toute activité de sous-traitance, le risque repose davantage sur le fabricant qui doit s’organiser pour occuper ses lignes de production. Les géants pharmaceutiques deviennent, eux, de plus en plus des acteurs financiers, soulignent les deux experts.
Des «banques» toutefois dotées d’un grand savoir-faire pour déceler les traitements à fort potentiel, financer leur validation clinique, leur mise sur le marché, ainsi que leur distribution.
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