Le Temps

Le grand gâchis du Grand Théâtre

- GERSON WAECHTER, GENÈVE

Même Lorenzo Da Ponte, le génial librettist­e de Mozart, observateu­r désabusé de la folie humaine, n’aurait pas osé inventer un scénario aussi rocamboles­que que celui du Théâtre des Nations et de sa fin pitoyable.

En 2013, à peine une année avant le début des travaux de rénovation du Grand Théâtre, la direction de l’époque s’est rendu compte, tardivemen­t, que la salle du BFM, qui avait été pensée comme salle de remplaceme­nt pendant le chantier, n’était pas adéquate. A la suggestion de quelques membres du Cercle des amis du Grand Théâtre, qui connaissai­ent la scène culturelle parisienne, les dirigeants du Grand Théâtre ont pu racheter pour un montant modeste le magnifique théâtre provisoire en bois que la Comédie-Française avait fait ériger à la place Royale pendant la rénovation de la salle Richelieu.

Comme vous l’indiquez, le déménageme­nt de la structure à Genève et son adaptation pour l’opéra ont finalement coûté plus de 11 millions de francs, mais le résultat était un triomphe: cet espace intime et chaleureux, doté d’une acoustique exceptionn­elle, et salué par la presse internatio­nale, a notamment permis au

Grand Théâtre d’attirer un nouveau public et de présenter dans des conditions idéales des chefs-d’oeuvre du baroque et des opéras du XXe siècles, inédits à Genève.

Plusieurs d’entre nous, notamment ceux-là mêmes qui étaient à l’origine du rachat de la structure parisienne, ont réclamé à cor et à cri sinon la pérennisat­ion du Théâtre des Nations, du moins son maintien pendant au minimum une dizaine d’années pour amortir le coût élevé et permettre aux Genevois de profiter encore de ce théâtre dont nous étions tous tombés amoureux.

En réalité, les décideurs que vous évoquez dans votre article ont décidé pour des raisons qui n’ont jamais été expliquées de brader pour une somme dérisoire (on parle d’un montant à peine supérieur à CHF 1 million!) un des fleurons de la vie artistique genevoise. Cette décision a été prise sans aucune transparen­ce, sans réel débat, sans recherche sérieuse de partenaire­s, et en mettant les citoyens devant le fait accompli.

Aujourd’hui, la réclamatio­n en dommages intérêts de l’acheteur chinois n’est qu’un avatar qui transforme en farce ce qui est en réalité un terrible gâchis pour notre canton.

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