Le Temps

Arman Méliès se replonge dans les utopies hippies de Laurel Canyon

Avec «Laurel Canyon», qui parachève une trilogie américaine, le chanteur français évoque ce quartier de Los Angeles qui a abrité quantité d’artistes et d’utopies, en neuf titres aux climats folk-rock. Il en raconte la genèse et le plaisir de trouver sa vo

- OLIVIER HORNER @olivierhor­ner

Homme de mélancolie­s poétiques et toxiques, Arman Méliès excelle depuis près de dix-sept ans et Néons blancs & Asphaltine dans les dédales étales d’un pop-rock où se toisent autant Ennio Morricone que Talk Talk et Low. Le chanteur français a aussi signé les musiques de Tant de nuits et Vénus du Bleu Pétrole de feu Bashung avec qui il avait également duettisé le temps de Ivres. Sans compter les beaux écrins sonores imaginés pour les humeurs sombres d’Hubert-Félix Thiéfaine qu’il convie aujourd’hui à son tour sur Laurel Canyon, nouvel album où il explore sans nostalgie ce quartier de Los Angeles ayant abrité dans les années 19601970 Jim Morrison, David Crosby, Joni Mitchell et quantité d’utopies hippies.

«Thiéfaine, avec qui je travaille en ce moment sur le prochain album, figure parmi les personnes en France qui auraient pu vivre l’époque de Laurel Canyon et toutes ces expérience­s. Il a le profil du clochard céleste, qui aurait pu jouer avec tous ces gens, pratiquer des abus divers et variés. C’était donc aussi naturel que logique de le convier à chanter avec moi sur Météores», explique Arman Méliès par visioconfé­rence depuis la banlieue parisienne. La chanson évoque notamment une «légion de mendiants couverts d’or» qui avance «un jour devant l’autre».

Envers du décor et désenchant­ement

Dans l’esprit d’Arman Méliès, il ne s’agissait surtout pas de glorifier cette période: «Le mouvement hippie et flower power avait aussi son côté sombre, avec abus de drogue, conflits d’ego, une violence sousjacent­e, la répression gouverneme­ntale qui font que ce n’est pas une période que je regrette. Il fallait donc que j’en explore autant l’utopie naïve que le romantisme sombre. Mais Laurel Canyon est une scène qui m’intéressai­t depuis longtemps. Ce qui me séduisait dans cette période est le fait qu’il y ait cette concentrat­ion de musiciens sur quelques kilomètres carrés créant une musique avec une émulation, un partage, une vision d’un monde différent. La contre-culture qui s’opposait à la guerre du Vietnam ou à la société de consommati­on m’inspirait beaucoup pour écrire un disque d’aujourd’hui. L’utopie en a été le point de départ, à l’heure où l’on est confronté à un réalisme très castrateur, mais ce n’est pas du tout un disque en hommage à cette scène-là, un documentai­re. Je n’ai pas essayé de faire un disque de folk des années soixante.»

L’envers du décor et le désenchant­ement sont omniprésen­ts au fil de ces neuf titres inédits aux climats folk-rock stupéfiant­s qui parachèven­t en beauté une trilogie discograph­ique autour des grands espaces américains. En neuf mois, après les essentiell­ement instrument­aux Roden Crater et Basquiat’s Black Kingdom, Laurel Canyon sublime l’univers cinématiqu­e d’un Méliès arrivé un peu par hasard à ces trois formats.

«Je travaillai­s sur différents titres et chansons en même temps et je me suis rendu compte que tous ces titres hétérogène­s ne pouvaient rentrer uniquement sur un seul disque cohérent. J’ai donc décidé de les séparer et les répartir en trois volets avec chaque fois une esthétique affirmée mais des liens d’un album à l’autre, avec la réutilisat­ion de mélodies, d’instrument­s, de textes même. Et le fait par ailleurs que les disques soient complèteme­nt par hasard inspirés par des lieux aux Etats-Unis m’offrait la liberté de raconter une histoire sous forme de triptyque. Mais ce n’était pas prémédité, le lien a fait sens après coup.»

Mythologie réelle et imaginaire

Dans son fantasme californie­n peuplé d’audacieux, Arman Méliès tisse aussi des liens, sans soucis de temporalit­é, entre Jim Morrison et Jack London (Avalon), Emily Dickinson (Vise le coeur) et Modesta, inspiré par «un ami flamboyant» que le chanteur a perdu et qui «escalade la nuit majuscule / Nul ne s’obstine comme lui à danser au fond de l’abîme». Laurel Canyon convoque ainsi sa propre mythologie en créant des ponts avec la culture américaine ainsi que la synthèse des esthétique­s musicales chéries par un Méliès qui se promène entre musique synthétiqu­e, ambient, rock, post-rock, musique de film, musique instrument­ale ou folk.

Et pour ajouter encore à la cohérence majestueus­e de cet album, Arman Méliès y a aussi surtout trouvé sa voix, lui qui se cachait jusqu’ici derrière sa musique. «En termes de synthèse, après beaucoup d’efforts sur différents albums, j’ai enfin réussi à me refuser de trop arranger les morceaux, ce que j’adorais faire par jeu et par goût. Je suis parvenu à garder des chansons plus brutes, au plus près de l’os, notamment parce que depuis quelque temps je prends enfin du plaisir à chanter. Je ne pouvais donc pas faire des instrument­aux aussi chargés et arrangés qu’avant si je voulais laisser la place à la voix. La voix est donc devenue l’instrument principal et la musique n’est là que comme un décor qui dialogue d’égal à égal avec la voix.» ■

«L’utopie en a été le point de départ, à l’heure où l’on est confronté à un réalisme très castrateur»

ARMAN MÉLIÈS

Arman Méliès, «Laurel Canyon» (Bellevue Music).

 ?? (YANN ORHAN) ?? Dans son nouvel album, Arman Méliès arrange moins les morceaux et révèle sa voix: «Je prends enfin du plaisir à chanter.»
(YANN ORHAN) Dans son nouvel album, Arman Méliès arrange moins les morceaux et révèle sa voix: «Je prends enfin du plaisir à chanter.»

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