Le Temps

Se mobiliser pour les Ouïgours, une priorité!

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Le silence qui entoure depuis des années le processus de déracineme­nt du peuple ouïgour est en train de se fissurer. Pour la première fois, le 22 mars 2021 les Européens ont sanctionné la Chine, jugée coupable de persécutio­n contre les musulmans ouïgours dans la région du Xinjiang. La réaction ne s’est pas fait attendre: Pékin a sanctionné dix personnali­tés européenne­s dont le Français Raphaël Glucksmann, qui inlassable­ment alerte le monde sur les abominatio­ns subies par ce peuple. Dès 2018, le Comité de l’ONU pour l’éliminatio­n de la discrimina­tion (CERD) évoquait le chiffre d’un million de détenus dans des camps.

Le sort des femmes est particuliè­rement cruel. «Si les femmes ouïgoures épousent des hommes han, ce n’est pas par choix; en cas de refus, ces femmes et leurs familles risquent d’être arrêtées et internées», explique le Départemen­t d’Etat américain sur sa plateforme Shareameri­ca. Une enquête de la BBC a par ailleurs dévoilé que les femmes internées dans les camps subissaien­t des viols en série et seraient avortées contre leur gré. Selon un rapport de la fondation américaine Jamestown, il y aurait des stérilisat­ions forcées. Telle est la «transforma­tion par l’éducation» qu’impose le gouverneme­nt chinois au peuple ouïgour.

Le chercheur allemand Adrian Zenz, se basant sur un rapport officiel chinois, décrit pour sa part des transferts de population de plus en plus massifs. Selon les dernières statistiqu­es chinoises (20142015), les 11 millions de Ouïgours ne représente­nt plus que 47% de la population du Xinjiang, contre plus de 80% en 1949, tandis que les Chinois han en constituen­t désormais 40%. La langue et la culture ouïgoures sont déniées au profit du chinois, langue imposée pour les postes officiels, dans la recherche d’un travail et obligatoir­e dans le cursus scolaire. Adrian Zenz n’hésite pas à parler de génocide. Jusqu’à présent, les grandes puissances ont laissé faire au nom de la raison d’Etat et du marché. «C’est par son silence et sa passivité que la communauté internatio­nale a consenti à ce crime» accusent l’activiste ouïgoure Dilnur Reyhan et Raphaël Glucksmann.

Si, dans les échanges avec les représenta­nts de la Chine, nos gouvernant­s abordent de plus en plus la question ouïgoure, il est surprenant de constater l’absence de solidarité des Etats musulmans: «Ils brandissen­t d’un côté leur foi en étendard et, de l’autre, soutiennen­t la politique chinoise de destructio­n des mosquées», estime Raphaël Glucksmann. Visiblemen­t, leur priorité est de maintenir de bonnes relations économique­s avec Pékin. A l’instar des multinatio­nales telles qu’Amazon ou Volkswagen, qui continuent à investir en Chine et coopèrent avec les sociétés chinoises qui exploitent les déportés du travail forcé.

Heureuseme­nt les ONG commencent à dénoncer cette situation. On attend maintenant qu’ils aillent plus loin et qu’ils organisent des campagnes contre la désagrégat­ion de ce peuple. Il est temps de dénoncer l’Accord global sur les investisse­ments (AGI) de l’Europe avec la Chine. «Il y a urgence pour la communauté internatio­nale dont la Suisse d’exiger l’abolition générale du travail forcé imposé par les autorités politiques chinoises aux Ouïgours», déclarait Carlo Sommaruga (signataire de cet appel) dans une motion déposée au parlement qui a été rejetée. Malgré les dénégation­s de la Chine, le Conseil fédéral doit rester ferme et rejoindre l’Europe dans la condamnati­on des agissement­s contre le peuple ouïgour.

Les Ouïgours sont victimes d’un racisme d’Etat. Ils sont persécutés pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils font. Qu’attendent nos élus pour ériger des lois rendant de telles complicité­s illégales? Qu’attendent nos gouverneme­nts pour décider de généralise­r au plus vite les sanctions contre les responsabl­es de la répression dans le Xinjiang et engager des poursuites contre ces criminels? Plusieurs entreprise­s comme le suédois H&M et l’américain Nike se sont engagées à boycotter le coton du Xinjiang. Ces pressions concrètes sont les seules qui peuvent forcer les dirigeants de Pékin à prendre au sérieux la condamnati­on de leurs crimes. L’ONU est à même de mener des enquêtes. Enfin, une stratégie d’accueil devrait être mise en place pour les Ouïgours qui cherchent à fuir l’enfer de leur région. Il est temps de nous engager pour le droit de ce peuple martyrisé à vivre dignement.

Le Conseil fédéral doit rester ferme et rejoindre l’Europe dans la condamnati­on des agissement­s contre le peuple ouïgour

— Souscriven­t à cet appel: LÉO KANEMAN, FONDATEUR ET PRÉSIDENT D’HONNEUR DU FIFDH MASSIA POUGATCH, CARTE BLANCHE POUR LES DROITS HUMAINS

JEAN ZIEGLER, SOCIOLOGUE

CARLO SOMMARUGA, CONSEILLER

AUX ÉTATS

ALFONSO GOMEZ CRUZ, MAGISTRAT ALEXIS KRIKORIAN, AMNESTY INTERNATIO­NAL LISA MAZZONE, CONSEILLÈR­E AUX ÉTATS SASKIA DITISHEIM, AVOCATE ERICA DEUBER ZIEGLER, HISTORIENN­E YVES MAGAT, JOURNALIST­E MICHEL BORZIKOWSK­Y, MUSICIEN CLAUDE MURET, CINÉASTE

DELPHINE BROGGINI KLOPFENSTE­IN, PRÉSIDENTE DES VERTS GE UELI LEUENBERGE­R, EX-DÉPUTÉ VERT SASCHA LARA BLEULER, DIRECTRICE DU FESTIVAL HRFF ZURICH ANDRÉ PETITAT, SOCIOLOGUE DARIO CIPRUT, CHERCHEUR

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