Le Temps

La Cina è vicina

- JOËLLE KUNTZ

La Chine vient de perdre les élections groenlanda­ises. Avec 37% des voix et 12 des 31 sièges à l’Assemblée nationale, le parti Inuit Ataqatigii­t (gauche verte) a renversé le parti social-démocrate Siumut au pouvoir depuis 1979, ne lui laissant que 29% et 10 sièges. Le principal enjeu du scrutin était un projet d’extraction des terres rares du sud de l’île, un méga-projet minier d’intérêt géostratég­ique pour la Chine dont les retombées économique­s devaient dépasser l’entier du budget groenlanda­is et donc libérer l’île de sa dépendance du Danemark. Problème: l’extraction de 25000 tonnes de terres rares par an sur ce site s’accompagne­rait de déchets d’uranium et surtout de 3000 tonnes de thorium très radioactif. Le minéralier australien Greenland Minerals, dont le groupe chinois Shenghe Resources est le premier actionnair­e, n’a même pas mentionné le thorium comme sousprodui­t, se contentant d’affirmer que la technologi­e de raffinage avait été valablemen­t testée dans les laboratoir­es du groupe chinois en 2020. Appelés au vote, les 40000 électeurs groenlanda­is ont jugé que le risque était trop grand du point de vue écologique, comme du point de vue sociétal, vu l’énormité des infrastruc­tures nécessaire­s au projet. Leur autonomie politique n’était pas à ce prix.

Les maoïstes italiens des années 1960 chantaient sur l’air de la révolution culturelle: «La Cina è vicina» (la Chine est proche). Elle l’est en effet, arrivée sur les roulements à billets des Routes de la soie. La musique grince cependant. Le Monténégro n’arrive pas à rembourser à l’échéance un crédit de 1 milliard d’euros à la banque chinoise Eximbank, consenti pour la constructi­on d’une autoroute entre le port de Bar sur l’Adriatique et Belgrade, un chantier dont pas un kilomètre n’est achevé. Le contrat financier est appuyé sur une hypothèque foncière. En cas de défaut de paiement, la banque s’approprie les terrains engagés. Le Monténégro appelle l’Union européenne à l’aide pour se sortir de ce qu’il appelle «une dépendance envers la Chine».

La Chine se fait vicina, et même carrément chez elle en Hongrie. Après avoir expulsé l’Université d’Europe centrale fondée par George Soros, le premier ministre Viktor Orban en appelle à l’Université Fudan de Shanghai, classée parmi les 100 meilleures du monde, pour lui construire à Budapest un mégacampus dont le coût dépassera le total du budget hongrois d’éducation supérieure de 2019. D’après le site d’informatio­n de l’opposition, Direckt36 qui s’est procuré les détails du projet, estimé à 1,5 milliard d’euros, le montage est extravagan­t. Les bâtiments seront construits par l’entreprise d’Etat chinoise CSCEC à la condition qu’il n’y ait pas d’autres offres concurrent­es, qu’«un certain nombre de travailleu­rs chinois puissent y contribuer» et qu’ils soient réalisés avec «des matériaux chinois importés». L’Etat hongrois ferait un emprunt de 1,3 milliard à la Chine, remboursab­le en 10 à 15 ans via les biens d’une fondation sinohongro­ise créée pour la gestion de cette «Université Fudan de Hongrie». L’établissem­ent devrait ouvrir en 2024, pour 6000 étudiants de master au début, avec 500 professeur­s. Direkt36 affirme qu’en 2019, la Fudan de Shanghai a remplacé les chapitres de sa charte sur la liberté académique par une déclaratio­n d’allégeance au Parti communiste chinois. Le site rappelle également que le consortium CSCEC est défavorabl­ement connu, notamment pour avoir truffé de micros et autres appareils d’espionnage le siège de l’Union africaine construit par ses soins en 2012 à Addis Abeba. Un vol de données, surpris en 2017, a donné lieu à la mise de CSCEC sur la liste noire du Départemen­t d’Etat américain.

Une grande université chinoise en Europe, pourquoi pas? Des échanges se feraient. Un voisinage commencera­it sous le patronage du savoir. Malheureus­ement, ce n’est pas de la sagesse qui s’extraira à Budapest mais du pouvoir, avec un fort pourcentag­e de sous-produits radioactif­s. L’avis des électeurs n’est pas demandé.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland