A Cuba, les réseaux sociaux font trembler le régime
L’opposition cubaine utilise depuis peu internet et les plateformes de réseaux sociaux pour critiquer frontalement le pouvoir. Les autorités, désemparées, répondent par la force
«Le Mouvement San Isidro [MSI, un groupe d’opposition, ndlr] a manifesté hier dans la Vieille Havane. Ils ont insulté le président Diaz-Canel. La police n’a pas osé intervenir. Tout cela, je l’ai vu sur Facebook», raconte Graziella, une Havanaise dans la trentaine. A l’instar de nombreux jeunes Cubains, Graziella passe de Facebook à YouTube, de Telegram à WhatsApp sur son smartphone pour suivre l’activité des groupes d’opposition politique. Et d’expliquer: «Avant, je ne savais rien de ce qui se passait à Cuba. Mais là, je vois que les gens descendent dans la rue à Santiago, à Camagüey et même à Bayamo, où ils sont d’ordinaire si timorés.»
Tout a véritablement commencé le 27 novembre. Ce jour-là, des artistes et des journalistes indépendants ont protesté contre le régime lors d’une vaste manifestation devant le Ministère de la culture pour obtenir plus de libertés. Sans succès. Ils ont réitéré leur démarche fin janvier. Sans succès. Mais, à chaque fois, ils ont fait appel aux réseaux sociaux pour mobiliser les manifestants. Avec succès. La mise en ligne sur YouTube à la mi-février de la chanson Patria y Vida (patrie et vie) de rappeurs cubains, un contre-pied au slogan révolutionnaire «Patria y Muerte» (patrie et mort) a tout changé. La chanson est devenue virale avec 4,4 millions de vues sur YouTube en un mois et demi, non sans controverses. L’un des groupes musicaux participants, Gente de Zona, a flirté pendant des années avec le régime et vécu de ses largesses comme de nombreux artistes, avant de le critiquer de Miami.
Un danger perçu trop tard
Les autorités sont dépassées par la puissance de ces réseaux sociaux, même si toutes les télécommunications et les mails sont sur écoute. L’usage d’internet était très limité sous Fidel Castro, réticent à l’idée d’ouvrir son pays. Le président Miguel Diaz-Canel serait, lui, un aficionado du web et, depuis deux ans, les
Cubains peuvent s’abonner à internet sur leurs smartphones. «Le gouvernement a fait l’erreur d’ouvrir internet. Ils ne peuvent plus rien contrôler. Je suis prudente. Je n’interviens pas sur les forums car il y a des agents provocateurs du gouvernement», précise Graziella.
«Le gouvernement a fait l’erreur d’ouvrir internet. Ils ne peuvent plus rien contrôler» GRAZIELLA, UNE HAVANAISE
Le régime s’est rendu compte trop tard du danger d’internet. «Convaincu que la plus grande guerre qui nous est faite est celle des idées, le parti a inclus dans son système de travail le suivi et la confrontation avec la subversion politico-idéologique sur internet et les réseaux sociaux, espace permanent de confrontation avec l’ennemi», a assuré récemment l’organe officiel du Parti communiste cubain (PCC), la Granma. Le 8e congrès du PCC, qui se tiendra du 16 au 19 avril, se concentrera sur la bataille de la communication.
L’ombre des Etats-Unis
Si les manifestations, portées par les réseaux sociaux, se multiplient dans l’île, les autorités y répondent par des arrestations. Les voitures de police et les patrouilles de policiers n’ont jamais été aussi nombreuses dans la capitale. Ils peuvent compter sur l’appui des Boina Rojos (les Bérets rouges, les forces spéciales) et d’un nombre incalculables d’agents en civil. «Après un dimanche de répression et le soutien du peuple cubain, nous sommes prêts pour l’anniversaire collectif des enfants de San Isidro», a ainsi tweeté le 5 avril l’un des leaders du MSI, Luis Manuel Otero Alcanta, avant d’être arrêté pour avoir hué le régime et distribué des bonbons aux enfants de son quartier afin de dénoncer les pénuries alimentaires. Une centaine de militants du MSI s’étaient réunis la veille à La Havane, hurlant des slogans hostiles.
Ces manifestations intervenant peu avant le congrès du PCC mais aussi du 60e anniversaire du débarquement de la baie des Cochons – une attaque menée par des exilés cubains soutenus par Washington –, les autorités y voient la main des Etats-Unis. Comme ce fut le cas entre 2009 et 2012 avec un Twitter à la cubaine, Zunzuneo, piloté en sous-main par la CIA et Usaid pour déstabiliser le régime sur le modèle des Printemps arabes.
Il n’empêche, les Cubains sont bien en colère contre le gouvernement. Les plus de 200 mesures anti-castristes prises par Donald Trump ont rendu l’île exsangue. La faim vrille les estomacs. La peur du régime s’estompe. «Les gens n’en peuvent plus. Des dizaines de personnes se sont battues hier parce qu’il y avait une distribution de sel. Quelle folie!» confie une mère de famille. Si les Cubains se passionnent pour les réseaux sociaux, c’est aussi pour des raisons pragmatiques. Des groupes WhatsApp intitulés «Donde Hay?» (où y a-t-il?) indiquent les lieux où trouver à manger. «C’est très pratique pour dénicher un peu de nourriture, mais cela ne nous dispense pas de faire la queue pendant trois heures», conclut Humberto, un étudiant havanais.
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