Le Temps

Angela Merkel centralise la gestion de la pandémie

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN @delphnerbo­llier

Pour mettre fin au chaos des mesures sanitaires, la chancelièr­e a présenté un projet de loi donnant au gouverneme­nt central un pouvoir renforcé dans les régions

Angela Merkel a finalement décidé de prendre les choses en main. Ce mardi, la chancelièr­e allemande a présenté un projet de loi, en accord avec ses partenaire­s de coalition sociaux-démocrates (SPD), afin d’imposer un «coup de frein» à l’ensemble du pays pour lutter contre la troisième vague de coronaviru­s.

«Ce coup de frein s’impose depuis longtemps car la situation est sérieuse», a expliqué la chancelièr­e. Les avis des experts sont, de fait, sans appel. La pandémie a repris à un rythme exponentie­l, avec un taux d’incidence national de 140 nouveaux cas pour 100 000 habitants sur une semaine. Et la situation est extrêmemen­t tendue dans les hôpitaux. Si la barre des 6000 lits de soins intensifs occupés par des patients du Covid-19 n’a pas été dépassée durant la deuxième vague, elle devrait l’être d’ici à la fin du mois. Soit beaucoup plus vite que prévu.

Harmoniser les mesures

Dans ce contexte, le gouverneme­nt fédéral a décidé de modifier la loi de protection contre les infections de manière à pouvoir imposer des mesures applicable­s à l’ensemble du pays. Une première depuis le début de la pandémie. Concrèteme­nt, les communes où le taux d’incidence dépassera trois jours de suite la barre de 100 se verront imposer, entre autres, un couvre-feu de 21h à 5h du matin, une fermeture des magasins non essentiels, des sites culturels et sportifs et des lieux de restaurati­on, ainsi qu’une réduction des contacts privés. Quant aux écoles, elles devront fermer leurs portes, de manière automatiqu­e, au-dessus d’un taux d’incidence de 200.

La plupart de ces mesures avaient été adoptées le 3 mars dernier lors d’une rencontre entre les 16 régions et la Chanceller­ie fédérale. En pratique toutefois, certains Bundesländ­er avaient décidé de passer outre leur mise en oeuvre et de rouvrir leur économie, comme dans la Sarre. Sur le papier en effet, la fermeture des magasins, des écoles, des lieux culturels et sportifs, ainsi que la réduction des contacts sont du ressort des régions. L’Etat fédéral joue surtout un rôle de propositio­n et de coordinati­on entre les Bundesländ­er, tout en apportant son expertise via l’Institut sanitaire Robert Koch.

«Le fédéralism­e a atteint ses limites, lorsque certaines régions prennent des mesures de fermeture et d’autres d’ouverture» STEPHAN VOGEL, CHERCHEUR DE L’UNIVERSITÉ DE COLOGNE

Le chaos qui règne depuis quelques semaines sur le terrain pourrait donc être bientôt limité. Pour cela, il faut que la Chambre basse du parlement, le Bundestag, et la Chambre haute, le Bundesrat, où sont représenté­es les régions, approuvent le projet. Une décision n’est pas à attendre avant une dizaine de jours.

Sans surprise, ce projet suscite la résistance d’une partie de l’opposition, de certaines régions comme la BasseSaxe mais surtout des communes qui s’estiment lésées par cette perte de compétence­s. Les supporters, eux, arguent d’une perte de confiance de la part de la population. «Nos concitoyen­s ne comprennen­t pas les différence­s régionales et attendent de la clarté et de la transparen­ce. Il est nécessaire de revoir notre manière de travailler», a justifié Angela Merkel.

Une situation d’exception

Sur le fond, cette décision intervient après une année de débat récurrent sur les forces et les limites du fédéralism­e dans la lutte contre la pandémie. «Durant les premiers mois de la crise, la grande majorité des spécialist­es du fédéralism­e ont reconnu les avantages de ce système», commente Stephan Vogel, chercheur de l’Université de Cologne. «Le fédéralism­e a permis de débattre ouvertemen­t, d’adapter les mesures et d’éviter des erreurs du gouverneme­nt fédéral. Aujourd’hui, on constate toutefois que ce système a atteint ses limites, lorsque certaines régions prennent des mesures de fermeture et d’autres d’ouverture. La population, elle, favorise depuis le départ une solution au niveau national», note ce politologu­e. «Mais dans une situation de crise aussi exceptionn­elle, chaque système a ses avantages et ses inconvénie­nts.»

Unique depuis la pandémie, la volonté du gouverneme­nt fédéral de prendre les choses en main marque-t-elle un tournant sur le long terme, voire un affaibliss­ement durable du fédéralism­e allemand? A priori, non, car le changement de loi concerne une période limitée, dans un premier temps, jusqu’au 30 juin. «Le changement de loi prévu n’est ni un changement fondamenta­l ni un acte contraire à la Constituti­on mais il constitue un moyen de lutter contre la pandémie dans une situation d’exception», confirme Stephan Vogel. «Les historiens jugeront toutefois, dans les années à venir, de ses effets sur le long terme.»

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(CHRISTOPH SOEDER/KEYSTONE) Angela Merkel a opté pour le «coup de frein».

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