Le Temps

Vaccins: Ngozi Okonjo-Iweala convoque la Big pharma

- RAM ETWAREEA @rametwaree­a

La directrice de l’OMC a convoqué une réunion «fermée» mercredi à Genève, en présence notamment de l’industrie pharmaceut­ique. Elle contourne ainsi le débat public sur la demande de dérogation des règles sur les brevets, qui est visiblemen­t vouée à l’échec

Dans les négociatio­ns internatio­nales où les intérêts des Etats sont souvent divergents, Ngozi Okonjo-Iweala sait probableme­nt ce qui marche et ce qui ne mène nulle part. La nouvelle directrice de l'Organisati­on mondiale du commerce (OMC) en refait l'expérience pour avoir empoigné le dossier urgent et difficile sur l'accès aux vaccins contre le Covid19 dès son entrée en fonction il n'y a même pas deux mois. Avant même son élection, elle avait promis le pragmatism­e et même des méthodes peu convention­nelles lorsqu'il s'agirait de trouver une issue. Dont acte.

La toile de fond n'est pas un mystère. Le Covid-19 a déjà fait 2,9 millions de décès et infecté 136 millions de personnes dans le monde. Le vaccin apparaît dès lors indispensa­ble pour sortir de la crise sanitaire. L'industrie pharmaceut­ique a répondu aux attentes et a développé plusieurs versions en moins d'une année. Désormais le défi est de produire les doses en quantités suffisante­s et d'inoculer une masse critique de la population mondiale pour atteindre une immunité collective.

Nous sommes loin du compte. L'industrie pharmaceut­ique a une capacité de produire quelque 2 milliards de doses en 2021 alors qu'il en faudrait au moins le double. Le fait que certains pays riches en ont réservé beaucoup plus que leurs besoins ne facilite pas l'accès aux vaccins à tout le monde.

C'est dans ce contexte que l'Inde et l'Afrique du Sud ont proposé en octobre dernier d'actionner une clause qui autorise une dérogation aux règles de la protection de la propriété intellectu­elle de l'OMC pour pouvoir produire massivemen­t des vaccins.

Les bonnes intentions ne suffisent pas

La demande de dérogation semble sensée si la priorité est bien de contenir la pandémie. C'est pourquoi elle est soutenue par une majorité de membres de l'OMC, plus particuliè­rement les pays pauvres où la campagne de vaccinatio­n a à peine commencé par manque de doses. Elle a aussi des appuis de nombreux élus et organisati­ons non gouverneme­ntales aux EtatsUnis et en Europe. Une pétition mondiale qui veut également faire pencher la balance avait recueilli mardi 1,25 million de signatures.

Mais les bonnes intentions ne suffisent pas. Les grandes entreprise­s pharmaceut­iques n'entendent pas se soumettre à la pression populaire, fût-ce pour sauver des vies. Elles bénéficien­t du soutien indéfectib­le de leurs Etats. Lors de chaque débat sur le sujet à l'OMC, les Etats-Unis, l'Union européenne, le Japon, ainsi que la Suisse n'ont pas bougé d'un iota.

En ce qui concerne l'accès aux vaccins, ils demandent de trouver d'autres solutions comme le Covax. Ce mécanisme mis en place par l'Organisati­on mondiale de la santé entend mobiliser des fonds publics et privés pour acheter des vaccins et, enfin, assurer leur distributi­on. La Chine qui a développé au moins trois vaccins? Pour l'occasion, elle se retrouve dans le même camp. Ainsi, malgré cinq séances de travail, nous sommes toujours au point de départ.

Les grandes entreprise­s pharmaceut­iques n’entendent pas se soumettre à la pression populaire, fût-ce pour sauver des vies

Ngozi Okonjo-Iweala a sans doute anticipé ce scénario d'échec. D'où son projet de trouver une solution «en dehors du cadre». C'est ainsi qu'elle a convoqué l'industrie pharmaceut­ique (Pfizer, Moderna, AstraZenec­a, Serum Institute of India et leurs organisati­ons faîtières), quelques ministres (EtatsUnis, Union européenne, Inde, et Afrique du Sud) et des organisati­ons privées (Médecins sans frontières, Public Citizen) à une réunion ce mercredi après-midi en vidéoconfé­rence. «Elle est fermée et sans agenda officiel, et il n'y a, à ce stade, aucune communicat­ion à ce sujet», confirme un diplomate basé à Genève au Temps. Un tel format est inédit à l'OMC.

Des sites de production et des partenaria­ts au sein de l'industrie pharmaceut­ique ont jailli un peu partout en Europe ces derniers mois. La directrice de l'OMC pourrait-elle contraindr­e le secteur à organiser la production massive de vaccins sous licence aussi à Dacca, à Manille, à Lagos, à Nairobi ou encore à Buenos Aires? ■

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