Le Temps

Les vaccins à l’est

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Comment se fait-il que les nouveaux membres de l'Union européenne, récemment libérés du joug soviétique, se tournent vers l'est pour leur approvisio­nnement en vaccins antiCovid-19, des vaccins qui ne sont pas homologués dans l'Union européenne (UE)? Le cas le plus spectacula­ire est celui de la Slovaquie qui vient de commander 2000000 de doses du Spoutnik V russe après s'être fait livrer 200000 doses du même vaccin. Bien sûr, la Slovaquie a toujours été mieux disposée envers «le grand frère» à l'est que ses voisins. La fédéralisa­tion de la Tchécoslov­aquie, promise dès 1918, a finalement été réalisée après l'écrasement du «Printemps de Prague» par les troupes soviétique­s et alliées en 1968.

Mais le geste slovaque est d'autant plus spectacula­ire que le premier ministre Igor Matovic et le président Zuzana Caputova ne sont pas connus pour leur tendresse envers la Russie. D'ailleurs, la décision du premier ministre de s'appuyer sur la Russie pour son approvisio­nnement en vaccins a créé des tensions au sein de sa coalition très orientée à droite amenant sa démission. Malgré la russophili­e traditionn­elle de la Slovaquie, ou du moins son indifféren­ce envers le facteur russe, le pays essaie aussi d'être un membre exemplaire de l'Union européenne. C'est le seul pays à l'est à avoir adopté l'euro. Le geste du premier ministre en complétant le stock de vaccins dont il dispose en recourant au Spoutnik V russe reflète l'ampleur de la crise covid que la Slovaquie traverse.

Un autre pays à l'est qui connaît l'intensific­ation de la crise covid, la République tchèque, ne cache pas son énervement avec la situation des vaccins à l'intérieur de l'Union européenne. Le président tchèque, longtemps connu pour son attitude erratique envers l'Occident, a écrit au président russe pour demander le Spoutnik V. Son initiative a provoqué la désapproba­tion du Ministre tchèque de la santé qui ne jure que par les vaccins approuvés par l'Agence européenne des médicament­s, ce qui n'inclut pas le vaccin russe ou chinois. Le ministre a gardé son poste mais le premier ministre semble avoir pris le parti du président en demandant que ce dernier écrive aussi à Pékin pour demander le Sinopharm chinois.

Il n'est guère surprenant que la Hongrie, dont le premier ministre Viktor Orban est considéré depuis longtemps comme la brebis galeuse de l'UE, ait été le premier membre de l'Union à utiliser le vaccin russe et chinois. Au vu du succès hongrois – le pays enregistre un taux impression­nant de personnes vaccinées et le premier ministre lui-même s'est fait injecter le Sinopharm chinois – d'autres pays, et pas seulement à l'est, ont emboîté le pas sans attendre le feu vert de l'Agence européenne des médicament­s pour faire leurs achats à Moscou. A l'est de l'Union, il n'y a que la Pologne (et la Lituanie), fidèles à leurs traditions russophobe­s, qui refusent d'acheter le

Spoutnik V. Le président polonais est toutefois entré en négociatio­n avec son homologue chinois, malgré les réserves de son ministre de la Santé, pour acheter des doses du Sinopharm chinois.

A Bruxelles on ne cache pas son désarroi face aux tendances qui se manifesten­t à l'est et qui s'étendent à l'ouest. Le fait que l'Autriche suit l'exemple de ses voisins n'inquiète que légèrement l'Union européenne. Lorsque l'Allemagne brise l‘unité européenne face au vaccin russe, par contre, l'inquiétude augmente. L'ancien premier ministre polonais et ancien président du Conseil européen, Donald Tusk, a mis ses compatriot­es et leurs voisins, qualifiés de «naïfs», en garde contre l'usage de vaccins qui n'ont pas été approuvés par l'Agence européenne des médicament­s. En principe, cette institutio­n est neutre mais les hauts fonctionna­ires de Bruxelles comptent sur elle pour ralentir ou même pour arrêter l'homologati­on des vaccins russes et chinois (même si les Chinois n'ont pas demandé une homologati­on en Europe). Ce n'est qu'après la publicatio­n d'un article dans la revue scientifiq­ue The Lancet que l'Agence européenne a accepté d'étudier la demande d'homologati­on du Spoutnik V. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se plaît toutefois à rappeler que le taux de vaccinatio­n en Russie est très bas.

L'Union européenne est consciente que sa crédibilit­é est en jeu. Elle a déjà été ébranlée lors de la crise financière de 2008. Le déchiremen­t ouest-européen et son incapacité à maîtriser la crise du Covid-19 risquent de faire perdre à l'Union le reste de confiance dont elle dispose chez ses nouveaux membres. Il ne sert pas à grand-chose de répéter que la Russie et la Chine se servent de leurs vaccins comme d'un élément politique du «soft power». Il est fort possible que les membres de l'UE qui attendent aujourd'hui patiemment l'approbatio­n de l'Agence européenne des médicament­s suivent l'exemple hongrois et passent outre aux injonction­s européenne­s.

ANDRÉ LIEBICH PROFESSEUR HONORAIRE D’HISTOIRE ET POLITIQUE INTERNATIO­NALES À L’INSTITUT DE HAUTES ÉTUDES INTERNATIO­NALES ET DU DÉVELOPPEM­ENT À GENÈVE La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se plaît toutefois à rappeler que le taux de vaccinatio­n en Russie est très bas

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