Le Temps

En France, à quoi servent encore les régions?

- @LTwerly

Attention, une région française peut en cacher une autre: alors que depuis le 1er janvier 2015, l'Hexagone est découpé en treize régions et dix collectivi­tés métropolit­aines, les deux départemen­ts des Haut et Bas-Rhin ont commencé, voici quelques semaines, à modifier la donne. Lors du redécoupag­e d'il y a six ans, les électeurs et élus alsaciens n'avaient pas caché leur dépit, voire leur colère, devant la création de la région Grand Est regroupant Alsace, Lorraine et Champagne-Ardennes. Conséquenc­e? Une rébellion discrète, mais ferme, au nom de leur identité bafouée. Et un résultat tangible: la création, le 1er janvier 2021, de la nouvelle «collectivi­té européenne d'Alsace» dotée de compétence­s spécifique­s, plus étendues que celles d'un départemen­t. De quoi donner de l'appétit à d'autres collectivi­tés soucieuses de tordre les contours de leurs nouvelles frontières…

Ce feuilleton de l'Alsace et du Grand Est, aux portes de la Suisse, a le mérite de reposer, une fois de plus, la question des régions dans ce pays fatalement jacobin qu'est la France, où les électeurs se rendront aux urnes les 20 et 27 juin, pour l'ultime test électoral pré-scrutin présidenti­el. Au menu? La désignatio­n de 4031 conseiller­s départemen­taux et 1922 conseiller­s régionaux, ayant la charge d'une manne budgétaire colossale: 28,3 milliards d'euros de dotation globale de fonctionne­ment accordée par l'Etat, plus une série d'impôts affectés aux départemen­ts et aux régions. Et pourtant: qui peut, après le sixième anniversai­re de ces 13 grandes régions hexagonale­s, confirmer que le redécoupag­e a porté ses fruits? L'impression est plutôt celle d'un éternel marécage territoria­l, d'où quelques personnali­tés tirent leur épingle du jeu. Les Alsaciens continuent de regarder le Grand Est avec suspicion. Tandis que Renaud Muselier, le patron de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, vient de sonner le tocsin vaccinal en passant, ce mercredi, une pré-commande de 500 000 doses de vaccins russes Spoutnik pour remédier aux défauts d'approvisio­nnement européens.

La crise sanitaire, en la matière, est sans doute le meilleur des baromètres. A plusieurs reprises, Emmanuel Macron a pourtant promis de franchir le Rubicon du centralism­e à la française pour se rapprocher le plus possible du terrain. Mieux: en juillet 2020, le président français a choisi, comme premier ministre, un haut fonctionna­ire familier des questions territoria­les: Jean Castex, maire de la commune pyrénéenne de Prades. Mais rien n'y a fait. Chaque main tendue aux régions, chaque initiative pour territoria­liser le confinemen­t s'est rapidement dissipée dans les sables de l'administra­tion centrale. Les 13 départemen­ts placés en reconfinem­ent partiel en mars sont devenus 19. Avant que l'ensemble du territoire ne soit concerné par ces mesures malgré les énormes disparités dans les taux d'incidence qui mesurent la propagatio­n du coronaviru­s. Renaud Muselier, encore lui, a pu rengainer ses neuf propositio­ns faites au premier ministre fin mars pour «basculer clairement d'une gestion centralisé­e de la crise et de la campagne de vaccinatio­n à une gestion décentrali­sée». Paris reste Paris. Un point c'est tout.

Difficile, pourtant, de s'en tenir là. Car les identités régionales, alimentées par le retour au local constaté au fil de la pandémie, s'accommoden­t de moins en moins bien de ce carcan administra­tif sans cesse modifié, mais jamais déverrouil­lé. La preuve? Le vote par l'Assemblée nationale, le jeudi 8 avril, d'une propositio­n de loi de l'opposition pour protéger et promouvoir les langues régionales. Vous avez bien lu: d'un côté, le jacobinism­e à la française continue de prévaloir. De l'autre, les identités restent des forces politiques motrices, portées par des élus provinciau­x et fiers de l'être comme ceux, à l'Assemblée, du groupe parlementa­ire Libertés et territoire­s, au sein duquel siègent, entre autres, les députés indépendan­tistes corses. Sans surprise, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, s'était opposé à ce texte sur les langues régionales dont l'enseigneme­nt sera proposé «à tous les élèves». Le Sénat, assemblée par excellence des territoire­s, a pesé favorablem­ent dans la balance. Les régionalis­tes bretons, très offensifs, ont fait donner tous leurs réseaux. Cela alors que, de sondages en enquêtes, environ trois Français sur quatre pensent que la décentrali­sation est une «bonne chose». Le séisme régional est encore, en France, loin d'être terminé. ■

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RICHARD WERLY

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