«Avec le départ des Américains, il faut craindre un vide de pouvoir en Afghanistan»
Professeur à l’Université des Marines de Quantico en Virginie, Amin Tarzi a participé à plusieurs négociations sur la question. Issu d’une grande famille afghane, il commente la décision de Joe Biden de retirer les troupes américaines d’ici au 11 septembre prochain
A l’heure où le président américain, Joe Biden, annonce le plan de retrait des troupes américaines d’Afghanistan, beaucoup s’interrogent. Professeur à l’Université des Marines de Quantico en Virginie, Amin Tarzi est issu d’une grande famille afghane. Ayant participé à plusieurs négociations sur l’Afghanistan, il commente la décision de la Maison-Blanche.
A Washington, certains déplorent que la décision de retrait d’Afghanistan d’ici à septembre ne tienne pas compte des conditions du terrain. Partagez-vous cet avis? De la part de Joe Biden, ce n’est pas une surprise. Il a toujours dit que l’engagement américain en Afghanistan devait se terminer. Il était opposé au renforcement des troupes décidé par Barack Obama en 2009. C’est une décision clairement politique. Mais depuis l’accord de Doha entre les Etats-Unis et les talibans de février 2020, les talibans n’ont tenu quasiment aucun engagement. Ils n’ont pas complètement coupé les ponts avec Al-Qaida, qui est certes affaiblie mais toujours là. En vertu de l’accord, le gouvernement afghan a libéré quelque 5000 prisonniers talibans. De leur côté, ces derniers ont été beaucoup moins actifs sur ce point. Ils n’ont par ailleurs pas cessé les violences. C’était pourtant une condition de Doha.
Les Etats-Unis ne devraient pas quitter l’Afghanistan dans ces conditions? On est presque dans une impasse. Mais ils devraient garder une petite base de forces spéciales permettant de s’assurer qu’aucune organisation terroriste internationale ne profitera d’un possible vide du pouvoir pour prospérer et menacer l’Occident. Car ne nous leurrons pas. L’intervention des Américains et des Européens en Afghanistan n’avaient pas pour but principal de défendre les droits humains, mais d’empêcher tout groupe terroriste international de fomenter des attaques depuis l’Afghanistan.
Craignez-vous un retour des talibans au pouvoir? Le gouvernement afghan a facilité la décision de Joe Biden. Entre Ashraf Ghani, le président, et Abdullah Abdullah, président du Haut Conseil pour la réconciliation nationale, il n’y a jamais eu d’unité. Le pouvoir est
AMIN TARZI PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DES MARINES DE QUANTICO EN VIRGINIE «Les talibans auront un contrôle très large sur une bonne partie du pays»
déchiré et corrompu. Avec le départ des Américains, ce serait un miracle si ce gouvernement se maintenait à la tête du pays. Je ne sais pas si les talibans reprendront Kaboul, mais ils auront un contrôle très large sur une bonne partie du pays. C’est là le danger. Si un vide du pouvoir se fait sentir dans certaines zones, de nouveaux acteurs non étatiques alliés à des puissances régionales pourraient y intervenir.
A quelles puissances pensez-vous? A la Russie, à l’Iran, au Pakistan et dans une moindre mesure à la Chine. L’Iran a déjà proposé de mettre à disposition des brigades. Malgré sa réticence à s’engager après le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan en 1989, la Russie est de retour. C’est même l’un des acteurs les plus actifs. Moscou a des relations avec tout le monde. Son activisme va au-delà de l’Afghanistan. Il y a eu pour la première fois des manoeuvres militaires conjointes entre la Russie et le Pakistan. Une relation stratégique entre les deux pays se dessine. Visiblement, Moscou revoit l’Asie centrale comme son arrière-cour. Géopolitiquement, il est important que les Etats-Unis gardent une présence sur place pour contrer les ambitions russes et iraniennes voire chinoises.
Faut-il parler de fiasco en Afghanistan? Le verre est à moitié vide. L’Afghanistan a été une guerre coûteuse humainement et financièrement. Des progrès ont néanmoins été faits en termes de liberté de la presse, d’élections même difficiles, de droits humains et surtout de droits des femmes. Tout cela risque de passer par-dessus bord si les talibans prennent les pleins pouvoirs et établissent un Etat islamique. Mais des erreurs ont été commises. Le gouvernement afghan, très faible, n’a pas été à la hauteur. Les Occidentaux ont été incapables de s’entendre sur des objectifs communs. Si l’Afghanistan sombre dans la guerre civile, les Européens pourraient en subir les conséquences avec de nouvelles vagues migratoires. ■