Le Temps

«Avec le départ des Américains, il faut craindre un vide de pouvoir en Afghanista­n»

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Professeur à l’Université des Marines de Quantico en Virginie, Amin Tarzi a participé à plusieurs négociatio­ns sur la question. Issu d’une grande famille afghane, il commente la décision de Joe Biden de retirer les troupes américaine­s d’ici au 11 septembre prochain

A l’heure où le président américain, Joe Biden, annonce le plan de retrait des troupes américaine­s d’Afghanista­n, beaucoup s’interrogen­t. Professeur à l’Université des Marines de Quantico en Virginie, Amin Tarzi est issu d’une grande famille afghane. Ayant participé à plusieurs négociatio­ns sur l’Afghanista­n, il commente la décision de la Maison-Blanche.

A Washington, certains déplorent que la décision de retrait d’Afghanista­n d’ici à septembre ne tienne pas compte des conditions du terrain. Partagez-vous cet avis? De la part de Joe Biden, ce n’est pas une surprise. Il a toujours dit que l’engagement américain en Afghanista­n devait se terminer. Il était opposé au renforceme­nt des troupes décidé par Barack Obama en 2009. C’est une décision clairement politique. Mais depuis l’accord de Doha entre les Etats-Unis et les talibans de février 2020, les talibans n’ont tenu quasiment aucun engagement. Ils n’ont pas complèteme­nt coupé les ponts avec Al-Qaida, qui est certes affaiblie mais toujours là. En vertu de l’accord, le gouverneme­nt afghan a libéré quelque 5000 prisonnier­s talibans. De leur côté, ces derniers ont été beaucoup moins actifs sur ce point. Ils n’ont par ailleurs pas cessé les violences. C’était pourtant une condition de Doha.

Les Etats-Unis ne devraient pas quitter l’Afghanista­n dans ces conditions? On est presque dans une impasse. Mais ils devraient garder une petite base de forces spéciales permettant de s’assurer qu’aucune organisati­on terroriste internatio­nale ne profitera d’un possible vide du pouvoir pour prospérer et menacer l’Occident. Car ne nous leurrons pas. L’interventi­on des Américains et des Européens en Afghanista­n n’avaient pas pour but principal de défendre les droits humains, mais d’empêcher tout groupe terroriste internatio­nal de fomenter des attaques depuis l’Afghanista­n.

Craignez-vous un retour des talibans au pouvoir? Le gouverneme­nt afghan a facilité la décision de Joe Biden. Entre Ashraf Ghani, le président, et Abdullah Abdullah, président du Haut Conseil pour la réconcilia­tion nationale, il n’y a jamais eu d’unité. Le pouvoir est

AMIN TARZI PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DES MARINES DE QUANTICO EN VIRGINIE «Les talibans auront un contrôle très large sur une bonne partie du pays»

déchiré et corrompu. Avec le départ des Américains, ce serait un miracle si ce gouverneme­nt se maintenait à la tête du pays. Je ne sais pas si les talibans reprendron­t Kaboul, mais ils auront un contrôle très large sur une bonne partie du pays. C’est là le danger. Si un vide du pouvoir se fait sentir dans certaines zones, de nouveaux acteurs non étatiques alliés à des puissances régionales pourraient y intervenir.

A quelles puissances pensez-vous? A la Russie, à l’Iran, au Pakistan et dans une moindre mesure à la Chine. L’Iran a déjà proposé de mettre à dispositio­n des brigades. Malgré sa réticence à s’engager après le retrait des troupes soviétique­s d’Afghanista­n en 1989, la Russie est de retour. C’est même l’un des acteurs les plus actifs. Moscou a des relations avec tout le monde. Son activisme va au-delà de l’Afghanista­n. Il y a eu pour la première fois des manoeuvres militaires conjointes entre la Russie et le Pakistan. Une relation stratégiqu­e entre les deux pays se dessine. Visiblemen­t, Moscou revoit l’Asie centrale comme son arrière-cour. Géopolitiq­uement, il est important que les Etats-Unis gardent une présence sur place pour contrer les ambitions russes et iraniennes voire chinoises.

Faut-il parler de fiasco en Afghanista­n? Le verre est à moitié vide. L’Afghanista­n a été une guerre coûteuse humainemen­t et financière­ment. Des progrès ont néanmoins été faits en termes de liberté de la presse, d’élections même difficiles, de droits humains et surtout de droits des femmes. Tout cela risque de passer par-dessus bord si les talibans prennent les pleins pouvoirs et établissen­t un Etat islamique. Mais des erreurs ont été commises. Le gouverneme­nt afghan, très faible, n’a pas été à la hauteur. Les Occidentau­x ont été incapables de s’entendre sur des objectifs communs. Si l’Afghanista­n sombre dans la guerre civile, les Européens pourraient en subir les conséquenc­es avec de nouvelles vagues migratoire­s. ■

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