L’introuvable vaccin africain contre le Covid-19
L'Afrique se réveille pour mettre fin à sa dépendance à l'égard des laboratoires étrangers. Mais il lui faudra des décennies pour espérer rattraper son retard en matière de recherche et de développement de vaccins et de médicaments
L’une des premières puissances africaines, le Nigeria, assure qu’il est en train d’élaborer son propre vaccin contre le Covid-19, afin de rompre avec la dépendance du continent à l’égard des laboratoires étrangers. Le président, Muhammadu Buhari, a encore vanté lundi le dynamisme de la communauté scientifique nigériane. Mais le mystère plane autour de ce vaccin nigérian et de son réel état d’avancement.
La vérité est probablement moins rose que proclamée. Car le Nigeria, comme les autres pays africains, part de loin. Comme l’a confié récemment le biologiste moléculaire Christian Happi, directeur du Centre africain d’excellence sur le génome et les maladies infectieuses (Acegid), une institution justement louée par le président nigérian pour ses innovations contre le Covid-19 et financée par la Banque mondiale: «Est-ce qu’il y a eu des tentatives pour créer un vaccin en Afrique? Oui. Mais l’Afrique n’a pas investi dans la recherche et le développement de vaccins contre le Covid-19.»
Donner le départ
L’Afrique est en train de se réveiller cependant. Lundi et mardi, l’Union africaine a convoqué une conférence en ligne sur la production de vaccins sur le continent. Plusieurs chefs d’Etat y ont participé, comme le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, le Rwandais Paul Kagame et le Congolais Félix Tshisekedi. A l’origine de l’initiative, John Nkengasong, le directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies en Afrique (CDCAfrica), a reconnu qu’il s’agissait d’une course de longue haleine mais qu’il fallait prendre le départ pour que le continent ne soit pas aussi démuni à l’avenir.
Actuellement, seuls 1% des vaccins administrés aux Africains sont produits sur le continent, a-t-il reconnu. L’objectif est de parvenir à 60% d’ici à 2040. Pour cela, l’Union africaine a annoncé au terme de la conférence virtuelle le lancement d’un «partenariat pour la fabrication des vaccins africains» avec la création de cinq pôles de recherche et de fabrication dans chacune des régions du continent. Plusieurs pays ont déjà annoncé leur intérêt, comme l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Sénégal.
Dans ce vaste plan, l’Union africaine s’est assuré de la collaboration de l’Alliance des vaccins (GAVI), basée à Genève, et de la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), deux institutions qui pilotent déjà le dispositif Covax avec l’OMS. Deux institutions financières panafricaines sont aussi associées à cette nouvelle initiative.
En matière de production industrielle et de transfert de technologie, le volontarisme ne suffit pas. Sans parler d’un vaccin africain, encore hypothétique, plusieurs pays se sont associés à des laboratoires étrangers pour produire localement. C’est le cas de l’Afrique du Sud ou de l’Egypte. Les pays en voie de développement réclament depuis des mois un assouplissement des règles de l’Organisation mondiale du commerce protégeant la propriété intellectuelle. Pour l’instant, ces efforts, menés en particulier par l’Afrique du Sud et l’Inde, sont vains et se heurtent aux pays occidentaux, protégeant leur industrie pharmaceutique.
«Les donateurs font fuir le secteur privé» VERA SONGWE, DE LA COMMISSION ÉCONOMIQUE POUR L’AFRIQUE
De leur côté, les pays africains doivent investir dans la recherche mais aussi dans le système de santé, de même que moderniser le cadre réglementaire, soulignaient plusieurs experts lors de la conférence organisée par l’Union africaine. Selon Quartz, en Afrique, les budgets de recherche ne dépassent pas 0,5% des produits nationaux bruts des pays du continent, quatre fois moins que dans le reste du monde.
Lors de la conférence, l’économiste Vera Songwe, de la Commission économique pour l’Afrique, rappelait aussi que les systèmes de santé des pays africains étaient largement financés par l’aide internationale. «Les donateurs font fuir le secteur privé», prévient-elle. Les donateurs internationaux sont aussi enclins à privilégier l’importation de médicaments plutôt que d’investir dans des producteurs locaux. «Il n’y a pourtant pas de fatalité, les capacités africaines existent et elles ne demandent qu’à être encouragées.»
Seth Berkley, le directeur de GAVI, abonde dans le même sens. L’organisation est le premier pourvoyeur de vaccins dans le monde contre de nombreuses maladies. Elle s’approvisionne auprès d’une dizaine d’entreprises pharmaceutiques, dont une minorité se trouvent en Europe ou en Amérique du Nord. «La diversification est cruciale, car la production de vaccins rencontre de nombreux aléas», souligne Seth Berkley. En Afrique, GAVI compte, par exemple, sur l’Institut Pasteur du Sénégal pour un vaccin contre la fièvre jaune. Mais pour un vaccin africain contre le Covid-19, il faudra encore attendre.
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