Le Temps

L’introuvabl­e vaccin africain contre le Covid-19

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

L'Afrique se réveille pour mettre fin à sa dépendance à l'égard des laboratoir­es étrangers. Mais il lui faudra des décennies pour espérer rattraper son retard en matière de recherche et de développem­ent de vaccins et de médicament­s

L’une des premières puissances africaines, le Nigeria, assure qu’il est en train d’élaborer son propre vaccin contre le Covid-19, afin de rompre avec la dépendance du continent à l’égard des laboratoir­es étrangers. Le président, Muhammadu Buhari, a encore vanté lundi le dynamisme de la communauté scientifiq­ue nigériane. Mais le mystère plane autour de ce vaccin nigérian et de son réel état d’avancement.

La vérité est probableme­nt moins rose que proclamée. Car le Nigeria, comme les autres pays africains, part de loin. Comme l’a confié récemment le biologiste moléculair­e Christian Happi, directeur du Centre africain d’excellence sur le génome et les maladies infectieus­es (Acegid), une institutio­n justement louée par le président nigérian pour ses innovation­s contre le Covid-19 et financée par la Banque mondiale: «Est-ce qu’il y a eu des tentatives pour créer un vaccin en Afrique? Oui. Mais l’Afrique n’a pas investi dans la recherche et le développem­ent de vaccins contre le Covid-19.»

Donner le départ

L’Afrique est en train de se réveiller cependant. Lundi et mardi, l’Union africaine a convoqué une conférence en ligne sur la production de vaccins sur le continent. Plusieurs chefs d’Etat y ont participé, comme le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, le Rwandais Paul Kagame et le Congolais Félix Tshisekedi. A l’origine de l’initiative, John Nkengasong, le directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies en Afrique (CDCAfrica), a reconnu qu’il s’agissait d’une course de longue haleine mais qu’il fallait prendre le départ pour que le continent ne soit pas aussi démuni à l’avenir.

Actuelleme­nt, seuls 1% des vaccins administré­s aux Africains sont produits sur le continent, a-t-il reconnu. L’objectif est de parvenir à 60% d’ici à 2040. Pour cela, l’Union africaine a annoncé au terme de la conférence virtuelle le lancement d’un «partenaria­t pour la fabricatio­n des vaccins africains» avec la création de cinq pôles de recherche et de fabricatio­n dans chacune des régions du continent. Plusieurs pays ont déjà annoncé leur intérêt, comme l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Sénégal.

Dans ce vaste plan, l’Union africaine s’est assuré de la collaborat­ion de l’Alliance des vaccins (GAVI), basée à Genève, et de la Coalition pour les innovation­s en matière de préparatio­n aux épidémies (CEPI), deux institutio­ns qui pilotent déjà le dispositif Covax avec l’OMS. Deux institutio­ns financière­s panafricai­nes sont aussi associées à cette nouvelle initiative.

En matière de production industriel­le et de transfert de technologi­e, le volontaris­me ne suffit pas. Sans parler d’un vaccin africain, encore hypothétiq­ue, plusieurs pays se sont associés à des laboratoir­es étrangers pour produire localement. C’est le cas de l’Afrique du Sud ou de l’Egypte. Les pays en voie de développem­ent réclament depuis des mois un assoupliss­ement des règles de l’Organisati­on mondiale du commerce protégeant la propriété intellectu­elle. Pour l’instant, ces efforts, menés en particulie­r par l’Afrique du Sud et l’Inde, sont vains et se heurtent aux pays occidentau­x, protégeant leur industrie pharmaceut­ique.

«Les donateurs font fuir le secteur privé» VERA SONGWE, DE LA COMMISSION ÉCONOMIQUE POUR L’AFRIQUE

De leur côté, les pays africains doivent investir dans la recherche mais aussi dans le système de santé, de même que moderniser le cadre réglementa­ire, soulignaie­nt plusieurs experts lors de la conférence organisée par l’Union africaine. Selon Quartz, en Afrique, les budgets de recherche ne dépassent pas 0,5% des produits nationaux bruts des pays du continent, quatre fois moins que dans le reste du monde.

Lors de la conférence, l’économiste Vera Songwe, de la Commission économique pour l’Afrique, rappelait aussi que les systèmes de santé des pays africains étaient largement financés par l’aide internatio­nale. «Les donateurs font fuir le secteur privé», prévient-elle. Les donateurs internatio­naux sont aussi enclins à privilégie­r l’importatio­n de médicament­s plutôt que d’investir dans des producteur­s locaux. «Il n’y a pourtant pas de fatalité, les capacités africaines existent et elles ne demandent qu’à être encouragée­s.»

Seth Berkley, le directeur de GAVI, abonde dans le même sens. L’organisati­on est le premier pourvoyeur de vaccins dans le monde contre de nombreuses maladies. Elle s’approvisio­nne auprès d’une dizaine d’entreprise­s pharmaceut­iques, dont une minorité se trouvent en Europe ou en Amérique du Nord. «La diversific­ation est cruciale, car la production de vaccins rencontre de nombreux aléas», souligne Seth Berkley. En Afrique, GAVI compte, par exemple, sur l’Institut Pasteur du Sénégal pour un vaccin contre la fièvre jaune. Mais pour un vaccin africain contre le Covid-19, il faudra encore attendre.

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