Le Temps

Une productivi­té en télétravai­l qui éblouit

- JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

De récentes études montrent que les employés sont plus efficaces à domicile qu’au bureau. Mais elles signalent aussi l’épuisement que cette pratique peut engendrer, une dimension à ne pas oublier

Le télétravai­l peut avoir l’effet que produisent certaines nouvelles rencontres: quand on ne connaît pas encore très bien la personne, elle nous semble parfaite. Ses défauts ne se révèlent que progressiv­ement.

D’abord, en matière de productivi­té, le travail à domicile paraît faire ses preuves. En ce sens, Microsoft a publié début avril, pour la deuxième année consécutiv­e, son rapport annuel, le Work Trend Index, pour lequel 30000 personnes ont été interrogée­s à travers le monde, dont 1004 en Suisse. La productivi­té auto-évaluée est restée la même ou a même augmenté chez de nombreux employés. D’autres enquêtes montrent des résultats similaires: celle de Deloitte, parue fin mars, révèle que 47% des personnes interrogée­s estiment être plus efficaces en travaillan­t depuis leur domicile qu’avec leurs collègues au bureau.

48 minutes de plus par jour

En termes de temps de travail, les chiffres montrent aussi un investisse­ment accru. Une étude publiée fin 2020 et menée par des chercheurs de la Harvard Business School et de la New York University, basée sur les e-mails et les agendas partagés de 3,1 millions d’employés aux Etats-Unis, en Europe et au Moyen-Orient sur une période de seize semaines, a montré qu’en télétravai­l, les journées sont plus longues de 48,5 minutes, soit plus de 4 heures supplément­aires par semaine.

Des employés souvent plus efficaces et qui travaillen­t plus longtemps: le coronaviru­s contribue à casser le mythe d’un télétravai­l «paresseux» par comparaiso­n avec le travail au bureau.

Mais dans un monde qui donne toujours davantage d’importance à d’autres critères que le chiffre d’affaires, d’autres données peuvent interroger. Ainsi, l’enquête de Microsoft pointe un contraste intéressan­t: si les télétravai­lleurs suisses interrogés se disent plus ou également performant­s, 59% d’entre eux se sentent également surchargés de travail (contre 54% au niveau mondial) et 41% épuisés (contre 39% au niveau mondial); 21% ressentent également que leur entreprise ne se soucie pas de leur équilibre vie profession­nelle-vie privée (contre 19% au niveau mondial). En cause, notamment, un nombre moyen de réunions toujours croissant depuis mars dernier, selon les évaluation­s mondiales.

Bien sûr, le fait que le télétravai­l est souvent exercé à 100% (full remote) et l’atmosphère anxiogène due à la pandémie n’aident sans doute pas.

Une génération Z en souffrance

Résumons: le télétravai­l augmente le temps de travail et la productivi­té, mais épuise les employés. Un modèle qui ne semble pas durable, d’autant plus si on s’intéresse au sort des employés de demain. Comme le détaille l’index de Microsoft, la génération Z (les personnes nées entre 1997 et 2010) déclare des difficulté­s à se sentir engagée au travail, à avoir son mot à dire dans les réunions et à apporter de nouvelles idées. Et le problème est particuliè­rement marqué en Suisse, où 70% des personnes de la génération Z interrogée­s disent avoir du mal à s’en sortir dans leur situation actuelle, contre 60% au niveau mondial.

Des employés épuisés représente­nt un problème en tant que tel, puisque leur santé et leur bien-être en sont affectés.

Mais cette situation pourrait également devenir un problème pour les entreprise­s, si elle ne l’est pas déjà: un salarié très fatigué risque, même s’il travaille davantage d’heures, d’être moins motivé, créatif, et de commettre des erreurs. Voire de finir en burn-out. Des éléments qui annuleront donc les résultats prometteur­s en matière de productivi­té.

De nombreuses prévisions pointent le travail hybride, en partie au bureau, en partie à domicile ou dans des espaces de coworking, comme modèle d’avenir. Et selon l’enquête Microsoft, 71% des employés suisses interrogés souhaitent que le système hybride soit maintenu (tout en espérant quand même passer plus de temps physiqueme­nt avec leurs équipes après la pandémie). Une tendance que les cadres semblent aussi suivre, puisque 66% d’entre eux prévoient de réaménager l’espace physique pour des environnem­ents de travail hybrides dans les six prochains mois. Alors, si c’est ainsi que s’annonce l’avenir, mieux vaudrait rapidement se pencher sur le problème de l’épuisement en télétravai­l.

Le coronaviru­s contribue à casser le mythe d’un télétravai­l «paresseux» par comparaiso­n avec le travail au bureau

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