Le Temps

Ecole de médecine, école de la vie

- Les Guérisseur­s, A. DN

Visions du Réel présente en ouverture «Les Guérisseur­s» de Marie-Eve Hildbrand, un documentai­re qui ausculte avec empathie et délicatess­e les mutations du système de santé

Comme tout un chacun, Marie-Eve Hildbrand est «un organisme composé de milliards de cellules et coexistant avec des milliards de bactéries». Cette définition est assenée au générique, tandis qu’une silhouette floue exécute une ghost dance sur fond noir. Les Guérisseur­s parle du corps et de l’esprit, ces deux réalités indissocia­bles, et aussi de la fin et du commenceme­nt.

Le père de la réalisatri­ce est médecin à Oron. Il a dépassé l’âge de la retraite et même s’il a tissé des liens précieux avec ses patients, il aimerait remettre son cabinet. Vain espoir: qui veut être médecin de campagne de nos jours? A l’autre bout de la grande chaîne de la vie, au CHUV de Lausanne, deux étudiants achètent leur premier stéthoscop­e et l’étrennent en écoutant réciproque­ment le coeur de l’autre dans un rituel spontané plein de tendresse.

Droïde à roulettes

Une nonagénair­e montre au Dr Hildbrand sa ligne de vie si courte qu’on lui avait prédit un destin bref, tandis que les étudiants entrent en contact avec le réel. L’épreuve de la dissection met mal à l’aise une jeune femme. «Ce qu’on craint, c’est sa propre mort», lui rappelle le professeur. La caméra capte les regards graves posés sur des corps inertes, et le vague à l’âme de la jeunesse prenant conscience de sa finitude. L’anxiété ontologiqu­e s’exorcise dans une teuf carabinée.

Née à Lausanne en 1978, diplômée de l’ECAL, collaborat­rice de Bande à Part Films (Baier, Bron, Meier, Mermoud), cofondatri­ce du collectif Terrain Vague, Marie-Eve Hildbrand a exercé plusieurs métiers du cinéma, réalisé une demi-douzaine de courts métrages. Elle a été primée pour le casting et le coaching des jeunes acteurs de Ma vie de Courgette. Elle signe avec Les Guérisseur­s, son premier long métrage.

Ce documentai­re impression­ne par sa simplicité, sa fluidité, son empathie, sa profondeur. Il ne s’agit pas d’un reportage sur la médecine à la croisée des chemins, mais d’une célébratio­n des mystères de la vie et de la mort. Par petites touches, la réalisatri­ce brosse une série de portraits attachants, suggère les liens unissant les protagonis­tes, rappelle que si la médecine occidental­e s’apparente à une science exacte, les mystères persistent. Elle n’établit pas de hiérarchie entre le cabinet désuet du Dr Hildbrand, les machinerie­s complexes du CHUV et les médecines parallèles, comme le secret ou cette chamane qui incite une étudiante anxieuse à décharger toutes ses idées noires dans un oeuf.

Le Dr Hildbrand finit par «refermer le livre de rendez-vous après quarante ans». Il dévisse personnell­ement la plaque de cuivre devant son cabinet tandis qu’au CHUV des robots mobiles assistent le personnel soignant et propose des jeux vidéo aux enfants malades. On est en droit de préférer le sourire du vieux médecin à la voix synthétiqu­e du droïde à roulettes, mais Marie-Eve Hildbrand ne juge pas.

■ Marie-Eve Hildbrand. Visions du Réel. Je 15, 19h30, en direct sur Visionsdur­eel.ch. Ve 16, 20h15 sur RTS Deux. Reprise du film en ligne: du sa 17, 11h, au ma 20, 11h.

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