Edouard Philippe résistera-t-il à la tentation du retour?
L’ancien premier ministre cultive son image de possible recours présidentiel si Emmanuel Macron ne se représente pas en 2022. Au vu de son bilan durant la première vague de contaminations, ses partisans le poussent sur le devant de la scène
L’ancien premier ministre d’Emmanuel Macron est aujourd’hui maire du Havre. S’en satisfait-il? L’homme est difficile à sonder, mais le fait est que ses partisans le poussent sur le devant de la scène, dans l’éventualité où l’actuel locataire de l’Elysée ne se représenterait pas en 2022. Edouard Philippe ne serait pas dénué d’atouts dans cette course: s’il ne manque bien entendu pas d’ennemis dans le macrocosme français, sa gestion des débuts de la pandémie est saluée par beaucoup.
Allez comprendre ce que signifie ce titre: dans Impressions et lignes claires (Ed. JC Lattès), l’essai qu’il vient de cosigner avec son ex-conseiller et vieux complice de plume l’eurodéputé Gilles Boyer (Les Républicains), Edouard Philippe se garde bien d’avancer à découvert et de dissiper le brouillard politique qui l’entoure. Emmanuel Macron? Salué mais pas encensé alors qu’il lui ouvrit, le 15 mai 2017, les portes de l’Hôtel Matignon. Alain Juppé, dont il fut le directeur de campagne jusqu’à l’échec des primaires de la droite de 2016 face à François Fillon? Toujours respecté mais avec une distance accrue par son échec et son départ au Conseil constitutionnel.
En bref, l’ancien premier ministre français (2017-2020), réélu maire du Havre en septembre 2020, pose des balises sans dévoiler l’itinéraire politique qu’il compte emprunter dans les mois à venir: «Il y a chez lui un formidable appétit de pouvoir et une éternelle «tentation de Venise», juge un de ses anciens conseillers, en référence à un livre fameux d’Alain Juppé. Edouard a d’abord envie… de susciter l’envie.»
«Il lui manque une qualité qu’Emmanuel Macron possède: l’empathie naturelle»
UN EX-CONSEILLER
La réalité de ce grand écart se lit dans le calendrier. Ces prochaines semaines, l’auteur Edouard Philippe est supposé sillonner la France pour faire la promotion de son ouvrage, bien placé en tête des ventes après avoir été soigneusement gardé caché jusqu’à sa sortie, début avril. Ce vendredi, la municipalité du Touquet l’avait aussi convié à participer au colloque sur le Brexit qui verra défiler dans la station balnéaire nordiste chère à Emmanuel Macron (il s’y maria et son épouse, Brigitte, y conserve une maison familiale) des diplomates, des experts mais aussi deux présidentiables de droite: le patron de la région des Hautsde-France, Xavier Bertrand (candidat déclaré), et l’ancien négociateur européen Michel Barnier (qui lorgne sur l’Elysée et sort son propre livre le 6 mai).
«Commandant en chef de la guerre sanitaire»
Autre anecdote révélatrice: sa participation, par message vidéo interposé, au cinquième anniversaire du parti présidentiel La République en marche le 6 avril.
Celui qui assuma, le jour de sa nomination surprise comme premier ministre, «être un homme de droite» conserve donc ses liens avec l’actuelle majorité. Et aussi avec ce chef de l’Etat qui le désigna, puis le remplaça par Jean Castex le 3 juillet 2020. «Complicité, rigolade, décontraction, relation détendue» sont les mots qu’il utilise le plus pour décrire aujourd’hui leurs relations.
Né en novembre 1970, fort de son fief maritime normand du Havre qui le met à moins de deux heures de route de Paris (où il réside toujours), crédité de 54% d’opinions favorables en juin 2020, à la veille de son départ de Matignon (contre 38% pour Emmanuel Macron), Edouard
Philippe joue parfaitement le rôle du politicien expérimenté, enraciné, et crédité pour son efficacité à la tête du gouvernement. Une carte maîtresse dans une France qui passe ces jours-ci le cap des 100000 morts du covid et se demande si la promesse de rouvrir terrasses et magasins le 15 mai pourra être tenue.
«Edouard Philippe serait un meilleur candidat qu’Emmanuel Macron pour le bloc conservateur, ces gens «raisonnables» qualifiés parfois de bloc élitaire», juge le journaliste David Desgouilles, qui l’a beaucoup suivi. Motif: sa maîtrise de l’administration, mais aussi sa capacité à inspirer confiance. «La pandémie a révélé ce qui fait sa force: son sang-froid et ses qualités pédagogiques, estime un haut fonctionnaire proche de son successeur, Jean Castex. Macron l’avait d’ailleurs compris: peu à peu, il s’était imposé à son détriment comme le commandant en chef de la guerre sanitaire, sans jamais tomber dans l’arrogance.»
«Absence de préoccupation écologiste»
D’autres observateurs sont beaucoup moins laudateurs. Pour eux, la force du maire du Havre est surtout son opportunisme et sa capacité à faire oublier ses échecs. «Il a lâché Juppé après la cinglante défaite de ce dernier aux primaires. Il a lâché la droite pour rallier Macron après le premier tour de l’élection présidentielle qui annonçait la victoire de celui-ci. Il a lâché notre ville avant d’y revenir en sauveur», pestait devant nous l’an dernier Jean-Paul Lecoq, son adversaire communiste, qui échoua à lui barrer la route de la mairie normande. Même refrain chez Ingrid Levavasseur, l’une des ex-égéries du mouvement des «gilets jaunes», cette rébellion sociale lancée par l’augmentation du prix du carburant diesel à l’automne 2018, qui vit aussi en Normandie. «Edouard Philippe n’a jamais donné l’impression d’écouter.»
Et l’un comme l’autre de redire tout le symbole d’un autre échec: celui de la limitation de la vitesse automobile à 80 km/heure sur les routes nationales en mai 2019: «Il lui manque une qualité qu’Emmanuel Macron possède: l’empathie naturelle. Or la présidentielle, c’est le rendez-vous d’un homme avec la France, donc l’histoire d’une relation directe. Sans oublier son absence de préoccupation écologiste», poursuit son ex-conseiller, en rappelant que l’élu fut jadis lobbyiste en chef d’Areva, le géant nucléaire français.
La pandémie comme tremplin
Alors, un recours? La pandémie de covid, qui l’a crédibilisé, peut-elle lui servir de tremplin, comme l’espèrent ses partisans? Dans Impressions et lignes claires, Edouard Philippe a préféré écrire «collectif», en gommant le «je» au profit du «nous». Il se joue aussi des pronostics en affirmant qu’une bonne partie de son temps libre est consacrée à écrire le scénario d’une série télévisée tirée de son précédent roman, coécrit avec Gilles Boyer: Dans l’ombre. L’allusion la plus directe à l’Elysée reste sa phrase récente prononcée dans un entretien au Point: «J’aime être aux manettes.» Mais quelles manettes? «Celles qu’Emmanuel Macron libérera s’il ne se représente pas en 2022», commentait voici peu l’ancien ministre de droite Dominique Bussereau dans Le Journal du Dimanche. Le covid a ses variants inattendus qui chamboulent tout. La politique française aussi.
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