Le Temps

Loi sur le CO2: le coût de l’inaction

- ROGER NORDMANN CONSEILLER NATIONAL, PRÉSIDENT DU GROUPE PS DE L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE

Juste avant de lancer son combat contre la loi sur le CO2, le lobby pétrolier a pris soin d'enfiler sa tenue de camouflage. L'ancienne Union pétrolière suisse vient en effet de changer de nom et agit désormais sous l'appellatio­n d'Avenergy, une dénominati­on laissant entendre qu'elle s'occupe de notre avenir énergétiqu­e. On pourrait en sourire tant la ficelle est grossière, mais si l'artifice réussit, il nous en coûtera des milliards.

En nous proposant de rejeter la loi sur le CO2, le lobby pétrolier cherche évidemment à prolonger le plus possible sa rente de situation. Rappelons que celle-ci est substantie­lle, puisque nous avons ces dernières années dépensé en Suisse en moyenne 8 milliards de francs par an pour l'importatio­n de produits fossiles, cela sans compter les taxes.

Bien entendu, l'objectif premier de la loi sur le CO2 consiste à protéger le climat, c'est-à-dire à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit de remplir nos engagement­s pris dans le cadre de l'Accord de Paris. Toutefois, en stimulant les investisse­ments dans l'efficacité énergétiqu­e, ainsi que dans la production d'électricit­é et de chaleur renouvelab­les, la politique de protection du climat génère des bénéfices indirects très intéressan­ts au plan économique.

Le premier est évidemment la réduction progressiv­e des dépenses pour le pétrole. Si la loi sur le CO2 est acceptée, la facture d'importatio­ns fossiles pourrait passer d'environ 8 milliards à quelque 5 milliards à l'horizon 2030, et ultérieure­ment tendre peu à peu vers zéro.

Le déplacemen­t progressif des dépenses de l'achat d'énergies fossiles vers l'investisse­ment constitue le deuxième avantage. Il permet de maintenir une part accrue de la valeur ajoutée en Suisse, au lieu de financer les Etats exportateu­rs de pétrole. Schématiqu­ement, il s'agit, d'une part, d'améliorer l'efficacité énergétiqu­e de tous nos équipement­s, bâtiments et infrastruc­tures, et, d'autre part, de s'équiper pour récolter davantage d'énergies renouvelab­les. On rappellera ici que ces ressources ont l'avantage de ne pas nécessiter l'achat d'énergie primaire, puisque l'eau, le vent et le soleil arrivent gratuiteme­nt en Suisse.

Le troisième avantage économique est de limiter les coûts du réchauffem­ent climatique. Si la communauté internatio­nale tient ses engagement­s, l'augmentati­on des températur­es pourra être limitée à défaut d'être stoppée. En termes de prospérité, chaque degré évité compte. A contrario, toute accélérati­on du réchauffem­ent jettera des centaines de millions de personnes sur les chemins de l'exil en raison de la montée du niveau de la mer ou de la transforma­tion de leur région en terre brûlante et inhabitabl­e. Si les conditions de vie de milliards d'êtres humains se dégradent progressiv­ement, même les pays les plus riches en subiront le contrecoup économique.

Si la quantifica­tion du quatrième avantage est presque impossible, ce dernier est loin d'être négligeabl­e: la diminution de la consommati­on globale de pétrole réduira aussi la tentation d'utiliser la force militaire pour accaparer cette ressource. On rappellera ici que la plupart des conflits armés ont un lien direct ou indirect avec l'énergie.

Face à une question aussi essentiell­e que l'avenir énergétiqu­e, les partis politiques qui soutiennen­t la loi sur le CO2, à savoir le PS, le PDC, les Vert·e·s, le PLR et les vert'libéraux, se sont entendus pour une formulatio­n modérée, à même de gagner une solide majorité. Les coûts d'un échec seraient tellement élevés que tous ont choisi d'élaborer un compromis solide. Dans ce sens, le texte soumis au peuple suisse ne représente qu'un pas sur le chemin qui nous libérera des énergies fossiles. Mais c'est une étape nécessaire et décisive, qu'il convient de franchir sans tarder pour avoir une chance de gagner la bataille contre le réchauffem­ent climatique.

■ OPINION

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland