Le Temps

Les fleurs du mal?

- DOCTEUR EN SCIENCES DE L'ENVIRONNEM­ENT

l'industrie mondiale de la floricultu­re pèse plusieurs dizaines de milliards de dollars par an. En Suisse, à l'occasion de la Saint-Valentin, les fleuristes ont profité d'être considérés comme des magasins vendant des biens «essentiels» pour écouler plusieurs centaines de milliers de roses. Mais d'où viennent les fleurs vendues ce jour-là, alors que dans les champs et les forêts il n'y a encore pas l'ombre d'un pétale à l'horizon?

Les plus gros producteur­s de fleurs coupées sont des pays situés entre les tropiques: Kenya, Ethiopie, Colombie, Equateur, etc. On y trouve de gigantesqu­es plantation­s, sous serre ou couvertes de bâches en plastique. Les conditions de travail y sont le plus souvent inacceptab­les: chaleur étouffante, positions éreintante­s, salaires de misère, instabilit­é de l'emploi, heures supplément­aires non payées, travail des enfants et harcèlemen­t font partie des dérives documentée­s. Le label attestant d'un commerce équitable serait-il la solution?

Les ouvrières agricoles – la majorité du personnel est féminin – sont exposées aux substances toxiques contenues dans les engrais, les produits phytosanit­aires et les divers colorants, ce qui entraîne maladies, problèmes neurologiq­ues et malformati­ons néonatales. Faudrait-il alors ajouter au commerce équitable la production biologique comme critère d'achat?

Au Kenya comme en Ethiopie, les plantation­s consomment d'énormes volumes d'eau pour l'irrigation, ce qui assèche cours d'eau, lacs et nappes phréatique­s dans des zones souvent arides, où les troupeaux et les êtres humains peinent déjà à s'abreuver. Les fleurs triées et empaquetée­s dans les entrepôts sont ensuite chargées dans des camions, puis dans des avionscarg­os à destinatio­n de l'hémisphère Nord, émettant au passage des gaz à effet de serre et des particules fines. L'empreinte énergétiqu­e est encore aggravée par la réfrigérat­ion des hangars et des camions, dans le but de conserver la fraîcheur des fleurs.

Les fleurs cultivées aux PaysBas, bien que ne nécessitan­t pas de transport aérien, ne sont pas exemptes de défauts. Le pays n'est pas réputé pour son ensoleille­ment et sa chaleur, encore moins en période de Noël ou de Saint-Valentin. Les fleurs sont dès lors cultivées dans des serres chauffées et à l'aide de lampes qui stimulent la croissance des plantes. Elles sont ensuite stockées en atmosphère contrôlée, ce qui consomme passableme­nt d'énergie. Et si les conditions de travail sont moins mauvaises qu'en Equateur ou au Kenya, les substances chimiques de synthèse n'ont pas disparu pour autant.

Finalement, les fleurs nécessiten­t que des surfaces arables leur soient dédiées, ce qui détruit des écosystème­s et entre en concurrenc­e avec la production d'aliments. Cultivées selon les techniques industriel­les nécessaire­s pour satisfaire une demande mondiale croissante, elles menacent tant l'approvisio­nnement alimentair­e que les équilibres écologique­s.

Dès lors, un bouquet de fleurs venant des tropiques et gorgé de substances toxiques est-il toujours un moyen pertinent de souhaiter un bon rétablisse­ment à un parent qui se remet d'un mauvais covid? Ne faudrait-il pas, le jour de la Saint-Valentin, se procurer chez nos amies et amis fleuristes un arrangemen­t d'éléments forestiers, des branches de noisetier ou une plante vivante symbolisan­t la vigueur de l'amour célébré? Ne pourrait-on pas, pour les fleurs comme pour les légumes, privilégie­r des produits de saison, cultivés localement et sans intrants chimiques? Ou même se demander si les fleurs coupées répondent à un besoin essentiel, comme l'a décrété le Conseil fédéral en temps de semi-confinemen­t?

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DANIEL CURNIER

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