Les adénovirus, source des effets secondaires?
VACCINS Une piste se dessine pour expliquer les effets indésirés des vaccins AstraZeneca et Johnson & Johnson: celle d’une réaction auto-immune suscitée par les adénovirus utilisés comme vecteurs
Face aux mystérieux troubles de la coagulation signalés après injection du vaccin d’AstraZeneca, les scientifiques mènent l’enquête. Une piste est privilégiée: celle d’une réaction auto-immune provoquée par un des éléments présents dans le vaccin.
Les premiers accidents rapportés remontent à fin février, avec le décès d’une infirmière de 49 ans admise dans un hôpital de Vienne. Des examens ont révélé la présence de caillots sanguins, ou thromboses, dans son abdomen, qui lui ont été fatals. En tout, onze cas survenus en Autriche et en Allemagne ont été relatés dans un article paru dans le New England Journal of Medicine (NEJM) le 9 avril.
Le même jour, la revue publiait un autre article rapportant cinq cas fort similaires en Norvège. On y apprenait notamment qu’une femme de 37 ans, vaccinée quelques jours plus tôt par l’AstraZeneca, était décédée des suites de l’apparition de caillots sanguins, dans le cerveau cette fois.
Johnson & Johnson aussi
Depuis, au moins 222 cas de ces thromboses atypiques - elles surviennent généralement dans les jambes, pas dans le ventre ou le cerveau - ont été recensés sur 34 millions d’injections du vaccin AstraZeneca réalisées dans l’Espace économique européen et le Royaume-Uni. Au moins 18 personnes sont décédées.
Le 7 avril, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a reconnu pour la première fois que ces accidents rares pouvaient être provoqués par le vaccin AstraZeneca.
La potion anglo-suédoise n’est pas la seule suspectée. Basé sur la même technologie, le vaccin de Johnson & Johnson est également dans le radar de la pharmacovigilance. Six cas de thromboses semblables ont été observés sur 6,8 millions d’injections aux
Etats-Unis, ont rapporté mardi les autorités sanitaires américaines, FDA et CDC, qui ont suspendu l’utilisation de ce vaccin dans le pays.
Tout l’enjeu est désormais de savoir si ce sont bien ces vaccins qui sont responsables, ou si ces accidents vasculaires, certes atypiques et rares, seraient tout de même survenus.
Revenons à ces cas cliniques. Dans les deux articles parus dans le NEJM, les auteurs, des hématologues spécialistes de la coagulation sanguine, ont mesuré une importante thrombocytopénie chez les patients hospitalisés, autrement dit une diminution du taux de plaquettes circulantes.
L’observation avait de quoi les intriguer, puisque ces cellules sont justement impliquées dans le processus de la coagulation. Comment auraient-elles pu, de surcroît en faible nombre, provoquer autant de thromboses?
Ce paradoxe n’est pourtant pas totalement inédit. Les auteurs soulignent en effet que des caillots surviennent parfois lors de l’administration d’héparine, un puissant anticoagulant, et que cet effet secondaire est associé à une diminution du taux de plaquettes.
Réaction auto-immune
Il arrive parfois que l’héparine forme un complexe avec une protéine sécrétée par les plaquettes, le facteur plaquettaire 4 (FP4). Dans environ 1% des cas, l’organisme reconnaît cet assemblage comme un intrus et fabrique alors des anticorps dirigés contre celui-ci, comme dans une réaction auto-immune. Les anticorps synthétisés se collent sur ce complexe, mais aussi sur les plaquettes. «Cela a pour effet d’activer les plaquettes, comme lors d’une coupure, sauf que cela se déroule à l’intérieur des vaisseaux, ce qui provoque des thromboses intravasculaires, détaille Pierre Fontana, médecin adjoint du service d’angiologie et d’hémostase des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Cette coagulation incontrôlée diminue le taux de plaquettes libres en circulation, ce que l’on appelle une thrombocytopénie induite par l’héparine, ou TIH. C’est enfin pour cette raison que les médecins ont constaté cet apparent paradoxe couplant thromboses et thrombocytopénie.
Aucun des patients des études n’avait cependant été traité avec de l’héparine. Mais les hématologues savent que «ce phénomène auto-immun peut parfois survenir en l’absence d’héparine, après une chirurgie par exemple», précise Pierre Fontana. Le responsable de l’activation du système immunitaire n’est jamais véritablement connu. D’où l’hypothèse formulée par les équipes germano-autrichienne et norvégienne: et si c’était le vaccin? En l’état, rien ne permet de l’affirmer, mais les indices sont suffisamment solides pour que la piste soit prise au sérieux.
«L’hypothèse tient la route, selon Claire-Anne Siegrist, directrice du centre de vaccinologie des HUG. Une réaction auto-immune est toujours déclenchée par une combinaison de facteurs individuels (génétique, hormones, âge, etc.) et un déclencheur de l’environnement, le plus souvent un virus même si on l’identifie rarement.» Pour en savoir plus, il faudrait examiner quelle partie des vaccins pourrait être responsable.
Les vaccins AstraZeneca et Johnson & Johnson (mais aussi le Spoutnik V russe) reposent sur des adénovirus, des virus inoffensifs non réplicables utilisés pour introduire dans les cellules la séquence d’ADN codant la protéine spike, naturellement présente à la surface du coronavirus.
L’organisme produit puis met en mémoire des anticorps contre cette protéine spike, de sorte qu’il s’immunise en cas de rencontre ultérieure avec le coronavirus. Est-ce une partie de son enveloppe qui est à l’origine de la production d’anticorps provoquant ces thromboses? Si oui laquelle? A moins qu’il ne s’agisse de quelque chose dans son matériel génétique? Impossible de le savoir pour le moment. Tout au plus sait-on que «les adénovirus ont un tropisme particulier pour les plaquettes», glisse Pierre Fontana, ce qui renforce les soupçons envers ces vaccins. Autre indice en ce sens, les potions de Moderna et de Pfizer/ BioNTech, qui eux reposent sur une technologie complètement différente, ne sont pas concernés par ces troubles de la coagulation.
Vivre avec le risque
Il ne fait que peu de doute que le coupable, qu’il soit lié ou non aux vaccins, sera bientôt identifié. Sauf que les autorités sanitaires n’attendront peut-être pas pour bannir ces vaccins, quand bien même ils sont efficaces, et ces cas extrêmement rares. Le Danemark l’a d’ailleurs fait le 14 avril en retirant son autorisation à AstraZeneca.
Vaccin ou aspirine, chaque médicament quel qu’il soit s’accompagne d’un risque – ce que l’on a tendance à oublier. Toute la question sera de savoir si les pays européens et les Etats-Unis acceptent le risque inhérent – s’il était confirmé – aux vaccins à adénovirus.
Tout l’enjeu est de savoir si ces accidents vasculaires, certes atypiques et rares, seraient dans tous les cas survenus