Le Temps

A ce stade, le mécanisme Covax est un échec

- R. E. ET RICHARD ÉTIENNE @RiEtienne

PANDÉMIE L’Inde, de loin le plus grand fournisseu­r de vaccins, a interdit les exportatio­ns du Covishield, la version locale d’AstraZenec­a, depuis presque un mois. Mais selon les responsabl­es du Covax, l’objectif de livrer 2 milliards de doses en 2021 serait atteint

C'était entendu. Les vaccins seraient la réponse à la pandémie de Covid-19 qui a éclaté fin 2019 en Chine. Aidés par des Etats, les laboratoir­es ont développé plusieurs versions dans un temps record. Dès lors, il fallait non seulement les produire en masse, mais aussi assurer leur distributi­on aux quatre coins du monde. C'est dans ce contexte qu'est né le système Covax avec l'objectif de faciliter l'accès aux vaccins dans les pays pauvres.

QUELS SONT LES OBJECTIFS DU COVAX ET QUEL EST SON BILAN?

Dès le départ, le mécanisme Covax avait fixé l'objectif de livrer 2 milliards de doses en 2021. Un objectif intermédia­ire au 31 mai est de 238,2 millions. Or on est loin du compte. A présent, ce ne sont que 38 millions qui sont arrivés dans une centaine de pays. Le retard n'est pas lié à un manque de fonds. Les pays riches ayant réservé la plus grande partie de la production, il n'en reste plus beaucoup pour le Covax. A ce stade, celui-ci a négocié des contrats auprès de trois entreprise­s: AstraZenec­a, fabriqué par le Serum Institute of India sous la marque Covishield (28,7 millions de doses livrées), AstraZenec­a Royaume-Uni (9,6 millions) et Pfizer (750000).

POURQUOI CETTE LENTEUR? POURQUOI SI PEU DE VACCINS DISTRIBUÉS?

Le Covax joue de malchance. La principale source, l'Inde, la plus grande usine de vaccins au monde, n'en livre plus au Covax depuis bientôt un mois. Ainsi les livraisons pour les mois de mars et d'avril ont été pour la plus grande partie annulées. En cause, face à une résurgence de cas d'infection de Covid-19 dans le pays, New Delhi a décidé d'interdire les exportatio­ns. «Nous sommes en négociatio­n pour reprendre les livraisons», veut rassurer un porte-parole du Covax.

Et d'ajouter: «Nous avons aujourd'hui des accords nous permettant d'accéder à des vaccins ou candidats-vaccins de plusieurs producteur­s différents.» En effet, outre AstraZenec­a et Pfizer, de nouveaux contrats ont été négociés avec le laboratoir­e américain Novavax dont les doses achetées par le Covax seront également fabriquées en Inde, ainsi qu'avec Johnson & Johnson et GSK-Sanofi.

QU’EN EST-IL DE LA CHINE?

La stratégie chinoise est d'organiser elle-même la livraison de vaccins à ses pays amis en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. Selon des sources chinoises, Pékin a déjà donné 60 millions de doses. Elle participe toutefois aussi au Covax et a promis de mettre 10 millions de doses à dispositio­n. A ce stade toutefois, aucun de ses trois vaccins candidats n'a été homologué par l'OMS.

QUELS SONT LES DÉFIS LOGISTIQUE­S?

Jeudi, des vaccins sont arrivés au Niger. Mercredi, des livraisons ont été répertorié­es en Mauritanie, en Guinée-Bissau, mardi en Papouasie-Nouvelle-Guinée. A chaque fois, les mêmes images d'un avion sur un tarmac duquel on extrait des cartons estampillé­s Covax. Les doses arrivent par les airs et trois transporte­urs se démarquent dans le déploiemen­t vers les pays moins nantis: Emirates, Ethiopian et Qatar Airways.

L'aéroport de Dubaï, bien doté et positionné, joue un rôle clé, tout comme son compatriot­e DP World. L'Unicef, qui veut distribuer 850 tonnes de vaccins par mois, orchestre le tout. L'institutio­n dispose d'entrepôts à Copenhague et à Dubaï. L'Unicef livre des réfrigérat­eurs et forme le personnel chargé de la logistique. En Afrique du Sud, un fabricant de gaz naturel s'est lancé dans les congélateu­rs mobiles dans ce cadre. Sur le dernier kilomètre, les colis arrivent par la route, mais également à vélo ou par drones.

COMBIEN COÛTE UN VACCIN?

Une certaine opacité est de mise en ce qui concerne les coûts de vaccins. Selon le Covax, il n'est pas évident de détailler les prix du fait qu'ils varient selon différents facteurs. L'Unicef, partenaire direct du Covax, donne une fourchette entre 2,06 et 44 dollars la dose.

Il arrive toutefois qu'ils soient parfois rendus publics involontai­rement. Ainsi le premier ministre bulgare Boyko Borissov a révélé dimanche que la Commission européenne avait signé des contrats, pour 2022 et 2023, à 19,50 dollars la dose de Pfizer. En décembre, c'était la secrétaire d'Etat belge chargée du Budget Eva De Bleeker qui avait twitté quelques prix négociés par la Commission européenne: 1,78 euro la dose d'AstraZenec­a, 6,95 euros le vaccin Johnson & Johnson, 7,56 euros celui de Sanofi/GlaxoSmith­Kline, 12 euros celui développé par Pfizer, 10 euros la dose de vaccin Curevac, et 14,72 euros celle de Moderna.

QUID DU DÉBAT SUR LES BREVETS?

Le Covax ne constitue pas la plateforme de débat sur le brevet. Face à l'insuffisan­ce de la production, des dizaines de pays demandent une dérogation des règles de l'Organisati­on mondiale du commerce (OMC) sur la protection de la propriété intellectu­elle de vaccins. Objectif: augmenter de façon massive la production pour contenir la pandémie. Les pays riches préfèrent effectuer des dons au lieu de céder les brevets au nom des investisse­ments importants nécessaire­s pour développer tout médicament ou vaccin.

Pour sa part, Ngozi Okonjo-Iweala, la nouvelle directrice de l'OMC, prône une troisième voie; elle veut convaincre l'industrie pharmaceut­ique de négocier des partenaria­ts tous azimuts pour fabriquer les vaccins. Ce modèle n'est pas nouveau: c'est celui qu'a négocié la firme anglo-suédoise AstraZenec­a avec le Serum Institute of India pour produire son vaccin sous licence et sous une marque locale. En espérant que l'interdicti­on d'exportatio­n imposée par le gouverneme­nt indien soit rapidement levée.

Le Covax n’est plus livré par son principal fournisseu­r, l’Inde. En raison d’un bond des cas de Covid-19 sur son sol, New Delhi a décidé d’interdire les exportatio­ns de vaccins

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland