Jeu de ping-pong entre Berne et Beyrouth
La procédure pénale ouverte par le MPC contre le gouverneur de la banque centrale libanaise Riad Salamé réjouit au Liban autant qu’elle inquiète en Suisse
C’est l’histoire d’un malentendu. La justice suisse a envoyé fin 2020 une demande d’entraide aux autorités libanaises à propos de Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban. La révélation cette semaine du contenu de ce courrier suscite d’immenses espoirs au Liban: grâce à la Suisse, la lumière pourrait être faite sur les agissements d’une partie de l’élite dirigeante.
Or Berne n’est pas du tout sur cette ligne. Déclenchée à la suite d’annonces du bureau de communication en matière de blanchiment (MROS) qui oblige le Ministère public de la Confédération (MPC) à mener son enquête, cette procédure semble embarrasser la Suisse et surtout le Département des affaires étrangères (DFAE). «Pour la direction du DFAE, il s’agit d’une affaire libano-libanaise, affirme une source à Berne, proche du dossier. On ne veut pas faire croire à la population là-bas que la Suisse sera à l’origine d’un printemps libanais. On n’est pas les gendarmes du monde.»
Si la fuite des avoirs libanais est une réalité, le DFAE garde en mémoire le casse-tête des procédures de restitution concernant la Tunisie, la Libye et l’Egypte. Se refusant à toute déclaration officielle, le département questionne aussi la volonté d’autres Etats, comme l’Angleterre, d’agir.
Pourtant, les attentes sont réelles côté libanais. Le MPC a reçu récemment plusieurs lettres concernant les avoirs d’autres personnes importantes libanaises, notamment des responsables politiques. Des lettres qui pourraient rester sans suite, le parquet suisse n’ayant souvent pas compétence pour agir. Alors que les procureurs fédéraux épluchent encore des milliers de pages MROS, plusieurs médias libanais répandaient la rumeur que le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, avait déjà été entendu par la justice suisse, ce qui n’est pas le cas.
Selon nos informations, le MPC a déjà reçu trois communications distinctes de la part de Riad Salamé, mais sans grande substance. «S’il n’y a pas quelque chose qui bouge efficacement de l’extérieur, compte tenu des blocages liés au système judiciaire, confessionnel et politique au Liban, cette affaire n’ira nulle part», confie une source judiciaire libanaise ayant souhaité rester anonyme en raison du caractère brûlant de l’affaire. De fait, en vertu de la loi libanaise, le président de la commission spéciale qui sera chargée de l’enquête, n’est autre que… Riad Salamé lui-même.
«C’est scandaleux»
La ministre libanaise de la Justice, Marie-Claude Najm, refuse de s’exprimer sur la procédure en cours mais a commenté l’audit de la Banque du Liban que son gouvernement a exigé. «L’Etat ne parvient pas à savoir ce qui se passe dans sa propre banque centrale, et c’est scandaleux, déclare-t-elle au Temps. Cet audit fait face à des obstructions successives, soutenues par un lobby politique, financier et médiatique très influent.» Le gouverneur, lui, a déjà riposté, affirmant que la situation financière du Liban risque d’empirer en raison de la procédure suisse. Il a aussi engagé pour sa défense les avocats genevois du cabinet Schellenberg Wittmer. ■
«On ne veut pas faire croire à la population là-bas que la Suisse sera à l’origine d’un printemps libanais. On n’est pas les gendarmes du monde»
UNE SOURCE À BERNE, PROCHE DU DOSSIER