Le Temps

Jeu de ping-pong entre Berne et Beyrouth

La procédure pénale ouverte par le MPC contre le gouverneur de la banque centrale libanaise Riad Salamé réjouit au Liban autant qu’elle inquiète en Suisse

- ANTOINE HARARI @AntoineHar­ari COLLABORAT­ION: SERGE MICHEL

C’est l’histoire d’un malentendu. La justice suisse a envoyé fin 2020 une demande d’entraide aux autorités libanaises à propos de Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban. La révélation cette semaine du contenu de ce courrier suscite d’immenses espoirs au Liban: grâce à la Suisse, la lumière pourrait être faite sur les agissement­s d’une partie de l’élite dirigeante.

Or Berne n’est pas du tout sur cette ligne. Déclenchée à la suite d’annonces du bureau de communicat­ion en matière de blanchimen­t (MROS) qui oblige le Ministère public de la Confédérat­ion (MPC) à mener son enquête, cette procédure semble embarrasse­r la Suisse et surtout le Départemen­t des affaires étrangères (DFAE). «Pour la direction du DFAE, il s’agit d’une affaire libano-libanaise, affirme une source à Berne, proche du dossier. On ne veut pas faire croire à la population là-bas que la Suisse sera à l’origine d’un printemps libanais. On n’est pas les gendarmes du monde.»

Si la fuite des avoirs libanais est une réalité, le DFAE garde en mémoire le casse-tête des procédures de restitutio­n concernant la Tunisie, la Libye et l’Egypte. Se refusant à toute déclaratio­n officielle, le départemen­t questionne aussi la volonté d’autres Etats, comme l’Angleterre, d’agir.

Pourtant, les attentes sont réelles côté libanais. Le MPC a reçu récemment plusieurs lettres concernant les avoirs d’autres personnes importante­s libanaises, notamment des responsabl­es politiques. Des lettres qui pourraient rester sans suite, le parquet suisse n’ayant souvent pas compétence pour agir. Alors que les procureurs fédéraux épluchent encore des milliers de pages MROS, plusieurs médias libanais répandaien­t la rumeur que le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, avait déjà été entendu par la justice suisse, ce qui n’est pas le cas.

Selon nos informatio­ns, le MPC a déjà reçu trois communicat­ions distinctes de la part de Riad Salamé, mais sans grande substance. «S’il n’y a pas quelque chose qui bouge efficaceme­nt de l’extérieur, compte tenu des blocages liés au système judiciaire, confession­nel et politique au Liban, cette affaire n’ira nulle part», confie une source judiciaire libanaise ayant souhaité rester anonyme en raison du caractère brûlant de l’affaire. De fait, en vertu de la loi libanaise, le président de la commission spéciale qui sera chargée de l’enquête, n’est autre que… Riad Salamé lui-même.

«C’est scandaleux»

La ministre libanaise de la Justice, Marie-Claude Najm, refuse de s’exprimer sur la procédure en cours mais a commenté l’audit de la Banque du Liban que son gouverneme­nt a exigé. «L’Etat ne parvient pas à savoir ce qui se passe dans sa propre banque centrale, et c’est scandaleux, déclare-t-elle au Temps. Cet audit fait face à des obstructio­ns successive­s, soutenues par un lobby politique, financier et médiatique très influent.» Le gouverneur, lui, a déjà riposté, affirmant que la situation financière du Liban risque d’empirer en raison de la procédure suisse. Il a aussi engagé pour sa défense les avocats genevois du cabinet Schellenbe­rg Wittmer. ■

«On ne veut pas faire croire à la population là-bas que la Suisse sera à l’origine d’un printemps libanais. On n’est pas les gendarmes du monde»

UNE SOURCE À BERNE, PROCHE DU DOSSIER

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland