Eté comme hiver, le chaud avant le show
Entre les disciplines de grand air qui y sont directement confrontées et les gros événements internationaux sommés de donner l’exemple, aucun sport ne peut désormais se soustraire à l’impact du réchauffement climatique
Tous les humains doivent faire face aux changements climatiques, les sportifs sont des humains, donc les sportifs doivent faire face aux changements climatiques. Pensez ce que vous voulez des syllogismes, dans ce cas-là, celui-ci a le mérite de résumer la situation. Bien que logique, ce constat n’a toutefois sonné que tardivement à l’oreille du monde du sport.
A force de s’approcher du soleil, Icare s’est brûlé les ailes. Pendant longtemps, la devise olympique ne s’est pas souciée de cette morale issue de la mythologie, «Citius, Altius, Fortius», «plus haut, plus vite, plus fort», et se déployait à l’infini. S’affranchir des limites était le maître mot que d’autres fédérations ou organisations se sont plues à adopter. Grandeur et gigantisme étaient devenus depuis les années 1980 la marque de fabrique des événements sportifs.
Le Comité international olympique (CIO) a introduit l’environnement dans sa charte en 1994. Malgré cela, le milieu sportif ne s’affiche toujours pas parmi les bons élèves en la matière. Mais aujourd’hui, l’opinion publique a évolué, emportant dans son sillage celle des sponsors, des partenaires d’événements, des politiques et des institutions. Par conséquent, ignorer les perturbations climatiques ainsi que les impacts de l’humain sur la planète, n’est plus accepté, voire acceptable, peu importe l’activité pratiquée.
Les images qui heurtent
Des images ont contribué à changer les tendances. On se souvient pêle-mêle des ruines laissées par les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. L’interruption du marathon de Chicago en 2007, due aux températures caniculaires qui ont entraîné 146 hospitalisations et un décès, nous frappe l’esprit. On pense aussi aux abandons des athlètes suffocants et rougis par un air étouffant frisant les 45°C la nuit, lors des mondiaux d’athlétisme de Doha au Qatar, en automne 2019. On se remémore ensuite l’air trouble et toxique qui enveloppait les joueurs de tennis de l’Open d’Australie en janvier 2020 alors que le pays combattait les incendies depuis plusieurs mois. L’annulation de deux rencontres, dont le match qui devait opposer la France à l’Angleterre, lors de la Coupe du monde de rugby au Japon en 2019 à cause de la menace du typhon Hagibis nous revient en mémoire. Le report de deux semaines des épreuves parallèles de la Coupe du monde de ski prévues à Lech (Autriche) en raison du manque de neige l’an passé vient s’ajouter à la liste.
Entre 2016 et 2018, deux études provenant de l’Université de Berkeley en Californie et de Waterloo au Canada pointaient du doigt la diminution des potentielles villes hôtes des Jeux olympiques d’hiver. D’ici à 2080, à cause des hausses de températures, à peine huit des 21 cités hôtes des Jeux d’hiver seraient, selon la dernière étude, en mesure de recevoir à nouveau les olympiades.
Malgré ces constats inquiétants, certaines disciplines semblent demeurer insensibles au sujet climatique. Lors du prochain Euro de football, l’équipe de Suisse est censée commencer le tournoi contre le Pays de Galles sous les projecteurs de Bakou, en Azerbaïdjan, puis jouer contre l’Italie à Rome, avant de revenir au bord de la mer Caspienne contre la Turquie, le tout en l’espace d’une semaine.
Parallèlement, l’UEFA promet des compensations depuis 2019 et travaille sur la réduction des déchets ainsi que l’utilisation des stades déjà existants. Individuellement, les clubs prennent leurs propres initiatives: le PSG a adhéré en mars dernier au programme des Nations unies «Sport for Climate Action» dans le but de réduire son empreinte carbone et le FC Sankt-Pauli se lance dans la production de t-shirts «100% durables». Cosmétique? Actions concrètes et sincères? La question se pose toujours. Quoi qu’il en soit, le sujet climatique ne laisse plus personne indifférent.
Les témoins d’une réalité
Il est déjà une réalité quotidienne pour les sportifs évoluant dans les milieux naturels. Aux premières loges des changements, ils constatent et, de plus en plus souvent, dénoncent. Cet hiver, le navigateur Alan Roura laissait entendre qu’effectuer un record sur le Vendée Globe se compliquait par le fait qu’à chaque édition, le tour de l’Antarctique était décalé plus au nord afin d’éviter les icebergs plus nombreux dans les mers australes à cause de l’accentuation de la fonte des glaces. En montagne, les alpinistes préfèrent quant à eux désormais l’hiver à l’été pour effectuer des ascensions de face nord devenues trop dangereuses en période estivale à cause des chutes de pierres. L’accélération de la fonte des glaciers, ainsi que la réduction de l’enneigement sur l’ensemble de l’hiver font partie des discussions courantes entretenues avec les sportifs de l’altitude.
Dans le cadre de la célébration du bicentenaire de la Compagnie des guides de Chamonix, il est paru évident aux organisateurs d’évoquer le sujet climatique. «Certes, nous nous remémorons d’où l’on vient, mais nous devons aussi savoir où l’on va», relève le guide Tristan Knoertzer. En ce qui concerne les changements relatifs aux variations climatiques, son commentaire est clair: «Nous n’avons pas le choix. Nous devons nous adapter.»
Pour ces éducateurs sportifs, il est de leur devoir de rapporter leurs observations ainsi que de sensibiliser leurs clients. Dans le cadre du jubilé de leur compagnie, ils publieront en juin un livret sur le changement climatique qui lance un vaste chantier de remise en question de leur pratique ainsi que de celle des clients. «La roche remplace peu à peu la neige et la glace. Ces modifications du paysage contraignent non seulement les guides à décaler les saisons de pratique, mais aussi à changer de massif, voire à changer d’activité et favoriser l’escalade, le canyoning ou la via ferrata à la marche sur glacier, relève Brad Carslon, guide et écologue responsable et coauteur de la publication. Nous devons aussi repenser la pratique et mettre en valeur l’expérience vécue plutôt que l’objectif à atteindre. Les conditions nous obligent par ailleurs à être plus souples pour ajuster nos choix aux terrains. Cela ne change pas l’ADN de notre métier, mais nous devons tout de même réfléchir à l’imaginaire qui constitue son identité. Nous ne pouvons plus communiquer la passion de l’alpinisme à travers des images de neiges immaculées à la Samivel.»
Les guides ne s’en cachent pas: ils doivent aussi revoir leur propre impact environnemental. La question des déplacements est la première soulevée. Favoriser un tourisme régional, des longs séjours et l’usage des transports publics s’impose comme une clé de voûte.
C’est le même critère qui a été relevé auprès de nombreux organisateurs. Une étude d’impact menée il y a dix ans sur le Freeride World Tour (FWT) a révélé que 80% des émissions du CO2 dues à l’événement provenaient du déplacement des spectateurs. En 2020, les Jeux olympiques de la Jeunesse à Lausanne ont misé sur un usage extensif des transports publics pour réduire au maximum leur impact environnemental. Selon un rapport du groupe de conseil en développement durable Quantis, cette stratégie a permis l’économie de 290 tonnes de CO2, réduisant avec l’aide de l’usage des infrastructures existantes, l’empreinte carbone générale de l’événement à 12 200 tonnes de CO2.
Consultante en développement durable spécialisée dans le domaine des sports, Violaine Magaud constate que le milieu s’est éveillé à la cause environnementale il y a dix ans. «A cette époque, leur attention était surtout à des fins de communication. En revanche, depuis cinq ans environ, leur implication est plus sincère.»
Si Nicolas Hale-Woods, le directeur du FWT, se dit sensible à l’environnement depuis longtemps, la décision de réduire concrètement l’impact de ses compétitions internationales de freeride a été prise il y a deux ans. En clair, une marche à suivre visant à réduire et compenser les émissions de carbone et diminuer les déchets engendrés par les compétitions a été créée. «Nous tentons par ailleurs de donner l’exemple d’une bonne pratique environnementale auprès des membres constituant le monde du freeride ainsi que parmi nos partenaires à travers le monde», complète-t-il.
Cette démarche s’est imposée par la force des choses: «Toutes les marques prennent aujourd’hui ces problématiques en considération. Les contrats de sponsoring demandent désormais systématiquement quelle est la politique climatique adoptée par l’événement.» Concrètement, le FWT a choisi l’option de compenser ses émissions en plantant des arbres entre le Nicaragua et la Colombie-Britannique. Ainsi, en 2020, plus de 3500 arbres ont pris racine sur le nouveau continent. Si la pratique éveille des doutes quant à ses véritables effets, elle a le mérite, aux yeux du co-créateur de l’Xtreme de Verbier de combattre la déforestation. «Le problème est global. Si on ne veut pas du tout d’impact, il faudrait tout arrêter. Cela n’est toutefois pas durable. La réalité sociale et économique ne peut pas être niée. Les stations qui reçoivent les étapes du tour souhaitent par exemple que l’on parle d’elles tous les ans. Réduire les déplacements en organisant chaque année les épreuves sur un continent différent ne leur conviendrait pas et cela signifierait la fin de notre compétition.»
Rôle fédérateur
Pour Violaine Magaud, une stratégie visant à réduire l’impact environnemental des événements doit être appliquée au cas par cas. Les gros raouts à travers le monde sont-ils sensés à notre époque? «Non, répond la consultante. A l’avenir, un travail sur les calendriers des championnats pourrait être entrepris afin de réduire les voyages inutiles. Il faut également penser à privilégier les spectateurs locaux.»
Mais la spécialiste en développement durable émet une nuance. «Il ne faut cependant pas omettre le rôle fédérateur du sport. Ces grandes réunions permettent d’engager les spectateurs et d’effectuer une communication positive notamment sur les questions environnementales». Icare s’est peutêtre brûlé les ailes, mais la vue sur le monde a été imprenable. ■
«Nous ne pouvons plus communiquer la passion de l’alpinisme à travers des images de neiges immaculées» BRAD CARSLON, GUIDE ET ÉCOLOGUE
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