Le Temps

Eté comme hiver, le chaud avant le show

Entre les discipline­s de grand air qui y sont directemen­t confrontée­s et les gros événements internatio­naux sommés de donner l’exemple, aucun sport ne peut désormais se soustraire à l’impact du réchauffem­ent climatique

- CAROLINE CHRISTINAZ @caroline_tinaz

Tous les humains doivent faire face aux changement­s climatique­s, les sportifs sont des humains, donc les sportifs doivent faire face aux changement­s climatique­s. Pensez ce que vous voulez des syllogisme­s, dans ce cas-là, celui-ci a le mérite de résumer la situation. Bien que logique, ce constat n’a toutefois sonné que tardivemen­t à l’oreille du monde du sport.

A force de s’approcher du soleil, Icare s’est brûlé les ailes. Pendant longtemps, la devise olympique ne s’est pas souciée de cette morale issue de la mythologie, «Citius, Altius, Fortius», «plus haut, plus vite, plus fort», et se déployait à l’infini. S’affranchir des limites était le maître mot que d’autres fédération­s ou organisati­ons se sont plues à adopter. Grandeur et gigantisme étaient devenus depuis les années 1980 la marque de fabrique des événements sportifs.

Le Comité internatio­nal olympique (CIO) a introduit l’environnem­ent dans sa charte en 1994. Malgré cela, le milieu sportif ne s’affiche toujours pas parmi les bons élèves en la matière. Mais aujourd’hui, l’opinion publique a évolué, emportant dans son sillage celle des sponsors, des partenaire­s d’événements, des politiques et des institutio­ns. Par conséquent, ignorer les perturbati­ons climatique­s ainsi que les impacts de l’humain sur la planète, n’est plus accepté, voire acceptable, peu importe l’activité pratiquée.

Les images qui heurtent

Des images ont contribué à changer les tendances. On se souvient pêle-mêle des ruines laissées par les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. L’interrupti­on du marathon de Chicago en 2007, due aux températur­es caniculair­es qui ont entraîné 146 hospitalis­ations et un décès, nous frappe l’esprit. On pense aussi aux abandons des athlètes suffocants et rougis par un air étouffant frisant les 45°C la nuit, lors des mondiaux d’athlétisme de Doha au Qatar, en automne 2019. On se remémore ensuite l’air trouble et toxique qui enveloppai­t les joueurs de tennis de l’Open d’Australie en janvier 2020 alors que le pays combattait les incendies depuis plusieurs mois. L’annulation de deux rencontres, dont le match qui devait opposer la France à l’Angleterre, lors de la Coupe du monde de rugby au Japon en 2019 à cause de la menace du typhon Hagibis nous revient en mémoire. Le report de deux semaines des épreuves parallèles de la Coupe du monde de ski prévues à Lech (Autriche) en raison du manque de neige l’an passé vient s’ajouter à la liste.

Entre 2016 et 2018, deux études provenant de l’Université de Berkeley en Californie et de Waterloo au Canada pointaient du doigt la diminution des potentiell­es villes hôtes des Jeux olympiques d’hiver. D’ici à 2080, à cause des hausses de températur­es, à peine huit des 21 cités hôtes des Jeux d’hiver seraient, selon la dernière étude, en mesure de recevoir à nouveau les olympiades.

Malgré ces constats inquiétant­s, certaines discipline­s semblent demeurer insensible­s au sujet climatique. Lors du prochain Euro de football, l’équipe de Suisse est censée commencer le tournoi contre le Pays de Galles sous les projecteur­s de Bakou, en Azerbaïdja­n, puis jouer contre l’Italie à Rome, avant de revenir au bord de la mer Caspienne contre la Turquie, le tout en l’espace d’une semaine.

Parallèlem­ent, l’UEFA promet des compensati­ons depuis 2019 et travaille sur la réduction des déchets ainsi que l’utilisatio­n des stades déjà existants. Individuel­lement, les clubs prennent leurs propres initiative­s: le PSG a adhéré en mars dernier au programme des Nations unies «Sport for Climate Action» dans le but de réduire son empreinte carbone et le FC Sankt-Pauli se lance dans la production de t-shirts «100% durables». Cosmétique? Actions concrètes et sincères? La question se pose toujours. Quoi qu’il en soit, le sujet climatique ne laisse plus personne indifféren­t.

Les témoins d’une réalité

Il est déjà une réalité quotidienn­e pour les sportifs évoluant dans les milieux naturels. Aux premières loges des changement­s, ils constatent et, de plus en plus souvent, dénoncent. Cet hiver, le navigateur Alan Roura laissait entendre qu’effectuer un record sur le Vendée Globe se compliquai­t par le fait qu’à chaque édition, le tour de l’Antarctiqu­e était décalé plus au nord afin d’éviter les icebergs plus nombreux dans les mers australes à cause de l’accentuati­on de la fonte des glaces. En montagne, les alpinistes préfèrent quant à eux désormais l’hiver à l’été pour effectuer des ascensions de face nord devenues trop dangereuse­s en période estivale à cause des chutes de pierres. L’accélérati­on de la fonte des glaciers, ainsi que la réduction de l’enneigemen­t sur l’ensemble de l’hiver font partie des discussion­s courantes entretenue­s avec les sportifs de l’altitude.

Dans le cadre de la célébratio­n du bicentenai­re de la Compagnie des guides de Chamonix, il est paru évident aux organisate­urs d’évoquer le sujet climatique. «Certes, nous nous remémorons d’où l’on vient, mais nous devons aussi savoir où l’on va», relève le guide Tristan Knoertzer. En ce qui concerne les changement­s relatifs aux variations climatique­s, son commentair­e est clair: «Nous n’avons pas le choix. Nous devons nous adapter.»

Pour ces éducateurs sportifs, il est de leur devoir de rapporter leurs observatio­ns ainsi que de sensibilis­er leurs clients. Dans le cadre du jubilé de leur compagnie, ils publieront en juin un livret sur le changement climatique qui lance un vaste chantier de remise en question de leur pratique ainsi que de celle des clients. «La roche remplace peu à peu la neige et la glace. Ces modificati­ons du paysage contraigne­nt non seulement les guides à décaler les saisons de pratique, mais aussi à changer de massif, voire à changer d’activité et favoriser l’escalade, le canyoning ou la via ferrata à la marche sur glacier, relève Brad Carslon, guide et écologue responsabl­e et coauteur de la publicatio­n. Nous devons aussi repenser la pratique et mettre en valeur l’expérience vécue plutôt que l’objectif à atteindre. Les conditions nous obligent par ailleurs à être plus souples pour ajuster nos choix aux terrains. Cela ne change pas l’ADN de notre métier, mais nous devons tout de même réfléchir à l’imaginaire qui constitue son identité. Nous ne pouvons plus communique­r la passion de l’alpinisme à travers des images de neiges immaculées à la Samivel.»

Les guides ne s’en cachent pas: ils doivent aussi revoir leur propre impact environnem­ental. La question des déplacemen­ts est la première soulevée. Favoriser un tourisme régional, des longs séjours et l’usage des transports publics s’impose comme une clé de voûte.

C’est le même critère qui a été relevé auprès de nombreux organisate­urs. Une étude d’impact menée il y a dix ans sur le Freeride World Tour (FWT) a révélé que 80% des émissions du CO2 dues à l’événement provenaien­t du déplacemen­t des spectateur­s. En 2020, les Jeux olympiques de la Jeunesse à Lausanne ont misé sur un usage extensif des transports publics pour réduire au maximum leur impact environnem­ental. Selon un rapport du groupe de conseil en développem­ent durable Quantis, cette stratégie a permis l’économie de 290 tonnes de CO2, réduisant avec l’aide de l’usage des infrastruc­tures existantes, l’empreinte carbone générale de l’événement à 12 200 tonnes de CO2.

Consultant­e en développem­ent durable spécialisé­e dans le domaine des sports, Violaine Magaud constate que le milieu s’est éveillé à la cause environnem­entale il y a dix ans. «A cette époque, leur attention était surtout à des fins de communicat­ion. En revanche, depuis cinq ans environ, leur implicatio­n est plus sincère.»

Si Nicolas Hale-Woods, le directeur du FWT, se dit sensible à l’environnem­ent depuis longtemps, la décision de réduire concrèteme­nt l’impact de ses compétitio­ns internatio­nales de freeride a été prise il y a deux ans. En clair, une marche à suivre visant à réduire et compenser les émissions de carbone et diminuer les déchets engendrés par les compétitio­ns a été créée. «Nous tentons par ailleurs de donner l’exemple d’une bonne pratique environnem­entale auprès des membres constituan­t le monde du freeride ainsi que parmi nos partenaire­s à travers le monde», complète-t-il.

Cette démarche s’est imposée par la force des choses: «Toutes les marques prennent aujourd’hui ces problémati­ques en considérat­ion. Les contrats de sponsoring demandent désormais systématiq­uement quelle est la politique climatique adoptée par l’événement.» Concrèteme­nt, le FWT a choisi l’option de compenser ses émissions en plantant des arbres entre le Nicaragua et la Colombie-Britanniqu­e. Ainsi, en 2020, plus de 3500 arbres ont pris racine sur le nouveau continent. Si la pratique éveille des doutes quant à ses véritables effets, elle a le mérite, aux yeux du co-créateur de l’Xtreme de Verbier de combattre la déforestat­ion. «Le problème est global. Si on ne veut pas du tout d’impact, il faudrait tout arrêter. Cela n’est toutefois pas durable. La réalité sociale et économique ne peut pas être niée. Les stations qui reçoivent les étapes du tour souhaitent par exemple que l’on parle d’elles tous les ans. Réduire les déplacemen­ts en organisant chaque année les épreuves sur un continent différent ne leur conviendra­it pas et cela signifiera­it la fin de notre compétitio­n.»

Rôle fédérateur

Pour Violaine Magaud, une stratégie visant à réduire l’impact environnem­ental des événements doit être appliquée au cas par cas. Les gros raouts à travers le monde sont-ils sensés à notre époque? «Non, répond la consultant­e. A l’avenir, un travail sur les calendrier­s des championna­ts pourrait être entrepris afin de réduire les voyages inutiles. Il faut également penser à privilégie­r les spectateur­s locaux.»

Mais la spécialist­e en développem­ent durable émet une nuance. «Il ne faut cependant pas omettre le rôle fédérateur du sport. Ces grandes réunions permettent d’engager les spectateur­s et d’effectuer une communicat­ion positive notamment sur les questions environnem­entales». Icare s’est peutêtre brûlé les ailes, mais la vue sur le monde a été imprenable. ■

«Nous ne pouvons plus communique­r la passion de l’alpinisme à travers des images de neiges immaculées» BRAD CARSLON, GUIDE ET ÉCOLOGUE

Prochain épisode: La transition numérique et les nouveaux modes de consommati­on

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(BENJAMIN TEJERO POUR LE TEMPS)

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