Le Temps

Un procès haut en couleur pour Dominique Giroud

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Le vigneron valaisan sera à Genève la semaine prochaine. Il doit comparaîtr­e devant le Tribunal de police pour avoir fomenté le piratage des ordinateur­s de deux journalist­es. Trois autres prévenus sont de la partie dans cette affaire rocamboles­que

Déjà sept longues années qu’un logiciel espion a pris le chemin des ordinateur­s de deux journalist­es de la RTS et du Temps. Enlisée dans une interminab­le bataille procédural­e, renvoyée une première fois pour cause d’avocat testé positif au covid, cette affaire doit enfin être jugée dès lundi à Genève. Sur le banc des prévenus, le vigneron valaisan Dominique Giroud, accusé d’avoir commandité le piratage finalement raté, tient la vedette de ce casting improbable. A ses côtés, un agent désormais banni du Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion, un détective privé transformé en Judas de cette folle histoire ainsi qu’un surdoué de l’informatiq­ue recruté pour l’occasion et désormais accablé par tous les autres. Les quatre compères plaident l’acquitteme­nt en affirmant n’avoir jamais voulu mettre ce plan à exécution et l’ambiance promet d’être électrique.

Des sujets qui fâchent

L’audience va vite s’animer avec les questions préjudicie­lles de la défense attendues en guise de hors-d’oeuvre. Autant d’occasions d’envoyer quelques missiles et de donner le ton avant le plat de résistance. Parmi les sujets qui fâchent, il y a le rôle controvers­é d’Yves Steiner (qui sera présent à l’audience en qualité de partie plaignante), l’ancien enquêteur de la RTS, passé au Contrôle fédéral des finances, et cible avertie du malware. La défense tente en effet de lui faire porter le chapeau de pousse-au-crime de l’histoire, à cause de ses liens avec le drôle de détective qui avait été embauché par Dominique Giroud pour «gérer la crise médiatique» et qui l’aggravait en livrant tous les secrets de l’encaveur.

Pour pimenter cette affaire et révéler l’ambiance conspirati­onniste qui animait les protagonis­tes, il reste 66 écoutes téléphoniq­ues au dossier (dont 35 concernent des échanges entre l’ancien enquêteur de la RTS et le détective). A l’origine, les conversati­ons étaient au nombre de 6189, mais la plupart ont été détruites depuis lors, car couvertes par le secret des espions, de l’avocat ou des sources. Un autre sujet de friction.

Les contours de l’intrigue

L’accusation, soutenue par le premier procureur Stéphane Grodecki, reproche principale­ment à Dominique Giroud d’avoir mandaté le hacker, sur les conseils de son ami l’agent secret et du détective privé, afin de pirater les ordinateur­s des deux journalist­es, Yves Steiner et Marie Parvex. A l’époque, l’encaveur était sous enquête pénale dans le canton de Vaud pour ses mélanges de vins et en litige avec le fisc. Ses déboires étaient largement médiatisés. Préoccupé par des fuites qui allaient crescendo, le vigneron aurait ainsi voulu identifier l’origine des indiscréti­ons afin d’étouffer le scandale.

Les manoeuvres de piratage, datées du 28 février et du 4 mars 2014, n’ont finalement jamais abouti. Le détective privé, source principale des fuites, avait averti Yves Steiner des détails du projet. Ce dernier s’est donc vite méfié de l’appel passé par une cabine de la gare Cornavin et du courriel adressé par un soi-disant

René Dumond. Quant à la journalist­e du Temps, elle n’a pas ouvert le message électroniq­ue infecté émanant d’un prétendu Henri Lachère, lequel était resté bloqué dans les spams. La pièce jointe s’est avérée être un logiciel espion permettant de transférer tous les fichiers vers un serveur à Zurich, lui-même loué par une société bulgare ouverte à l’aide d’un prêtenom. Le tout payé avec des bitcoins et de manière anonyme.

Les appels du détective, dont les raccordeme­nts étaient mis sur écoute dans le cadre d’une autre procédure pénale, révéleront l’ampleur des intrigues ainsi que son double jeu. Sur la liste initiale des cibles potentiell­es du piratage figurait ainsi l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin, la ministre chargée des Finances Eveline Widmer-Schlumpf, et des procureurs. La liste sera ensuite réduite aux deux journalist­es pour limiter le coût de l’opération.

Durant l’instructio­n, les protagonis­tes, qui ont passé deux semaines en détention provisoire, ont livré des versions évolutives, divergente­s et contradict­oires. Aucun des prévenus n’a reconnu avoir voulu finaliser ce hacking, ni avoir envoyé le logiciel espion aux deux journalist­es. L’affaire divise les protagonis­tes du dossier en deux camps. D’un côté, Dominique

Giroud, l’ancien espion et le détective (défendus par Mes Yannis Sakkas, Christian Lüscher et Saskia Ditisheim), qui disent en choeur avoir abandonné ce projet en cours de route. De l’autre, l’informatic­ien, défendu par Me Gérald Page, seul contre tous, qui conteste avoir agi en électron libre, dans un excès de zèle et par goût du défi.

La présidente Sabina Mascotto a réservé une semaine pour y voir plus clair dans ce dossier surréalist­e et truffé de détails rocamboles­ques. La RTS et Le Temps, plaignants, seront également de la partie. Un procès qui sera sans doute très suivi et qui donnera à Dominique Giroud l’occasion de méditer une fois encore sur cette pensée mystique dont la première lettre de chaque mot constituai­t le code de son ordinateur sécurisé: «Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit.»

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