Le Temps

Etre efficace – oui, mais rapidement!

- STÉPHANE GARELLI

Tony Blair: «Le défi des démocratie­s occidental­es est un défi d’efficacité. Nos politicien­s, en général, ne sont pas corrompus mais ils ne donnent pas les services qu’attendent les citoyens. Notre système coûte cher et ne produit pas assez.» C’est vrai: de la pandémie aux réformes économique­s, nos gouverneme­nts sont jugés sur leur efficacité, peut-être plus encore que sur leurs principes.

Aujourd’hui, l’Union européenne a mauvaise presse à cause de la débâcle de la vaccinatio­n du covid. 14% des citoyens de l’Union ont reçu un vaccin, contre 38% pour les Américains et 58% pour les Britanniqu­es. Boris Johnson ou Benyamin Netanyahou sont populaires malgré leurs dérapages parce qu’ils sont perçus comme étant efficaces et rapides.

Pourtant l’efficacité ne vient pas uniquement des leaders mais aussi de l’administra­tion. Un pays compétitif a toujours une administra­tion efficace. En France, Emmanuel Macron veut être un président dynamique, réformateu­r et efficace, mais derrière lui son administra­tion ne suit pas. On ne peut pas être efficace tout seul.

Les rapports de l’IMD sur la compétitiv­ité mondiale analysent l’efficacité des gouverneme­nts avec plus de 70 critères. Régulièrem­ent, les pays qui arrivent en tête du classement sont Hongkong, les Emirats arabes unis, Singapour, la Suisse, la plupart des pays de l’Europe du Nord ainsi que la Nouvelle-Zélande. Les petits pays sont-ils plus faciles à gérer?

Peut-être, mais pour les plus grands l’efficacité est souvent abordée par l’angle de l’autocratie. Un gouverneme­nt centralisé, fort et autoritair­e apparaît parfois comme la réponse aux besoins d’efficacité de la population. La Chine, la Russie, le Brésil ou la Turquie suivent cette voie. En Europe, certains sont tentés.

Pour les entreprise­s, l’efficacité des administra­tions est fondamenta­le. La globalisat­ion a été un moyen de contourner l’inefficaci­té de certains pays. Avoir le choix de l’emplacemen­t de ses investisse­ments permet aux entreprise­s de faire pression sur les gouverneme­nts: on peut toujours déménager et aller ailleurs.

L’autre tentation est la corruption. Contrairem­ent aux idées reçues, l’essentiel de la corruption économique ne se concentre pas sur l’illégalité. Dans la plupart des cas, la corruption consiste à mettre «de l’huile dans les rouages», c’està-dire accélérer des processus bureaucrat­iques qui autrement prendraien­t une éternité.

Pourquoi cette inefficaci­té? Dans les pays en développem­ent, la raison principale est le manque de rémunérati­on décente et de formation pour la fonction publique. Dans beaucoup de pays, l’administra­tion a tendance à se gérer ellemême, sans contrôle véritable. La corruption est le moyen de compléter le salaire.

De plus, le manque de statistiqu­es fiables permet de passer sous le radar. La Banque mondiale estime qu’aujourd’hui un milliard de personnes n’ont pas de pièce d’identité. Au Congo, le dernier recensemen­t date de 1984! L’impunité se propage.

Dans les pays avancés, l’inefficaci­té de l’administra­tion est principale­ment la conséquenc­e de sa taille. Beaucoup de dirigeants ont créé des emplois artificiel­s dans le public pour masquer la réduction des emplois dans le privé. En Europe, le secteur public représente entre 20 et 30% de l’emploi total, et ne cesse de croître. La Norvège compte 160 employés du public pour 1000 habitants.

Les lois de Cyril Northcote Parkinson s’appliquent alors:

1. «Le travail s’étend de manière à remplir le temps disponible pour sa réalisatio­n», 2. «Les chefs créent des subordonné­s, pas des rivaux» et 3. «Les chefs créent du travail les uns pour les autres». En conséquenc­e, et d’après lui, la bureaucrat­ie augmentera­it de 5 à 7% par an, indépendam­ment du travail à faire.

C’était en 1955. Entre-temps, de nombreuses administra­tions ont changé, se sont modernisée­s et digitalisé­es. Elles ont adopté une approche service-client. C’est bien, car une administra­tion compétente et transparen­te est l’épine dorsale de nos démocratie­s.

Mais à l’heure des grandes pandémies, être efficace, c’est aussi être rapide et résilient. L’urgence est un électrocho­c. Elle bouscule la routine qui est, selon John Stuart Mills, la maladie que propage la bureaucrat­ie. Or, précisémen­t, les crises tuent la routine et exposent les inefficaci­tés. C’est donc aussi une opportunit­é pour mieux gérer nos Etats. Si on en tire les conséquenc­es, rapidement…

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IMD ET UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
PROFESSEUR ÉMÉRITE, IMD ET UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

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