Le Temps

SEXUALITÉS ET COVID, DE NOUVEAUX PARADIGMES

- @marion_902

MARION POLICE t Les premières observatio­ns liées aux conséquenc­es de la pandémie sur la sexualité des Suisses se font connaître. Le Centre Maurice Chalumeau de l’Université de Genève y consacre une conférence le 19 avril

◗ Quelles sont les conséquenc­es de la crise sur le champ des sexualités et quelles réflexions appellente­lles? Si une année auparavant, le monde de la recherche ne pouvait émettre que des hypothèses, il peut désormais présenter ses premières conclusion­s en la matière. Fort de ce constat, le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève a sollicité plusieurs experts et expertes qui exposeront leurs analyses, dans une perspectiv­e transdisci­plinaire, lors d’une conférence en ligne ce lundi 19 avril.

CRÉATIVITÉ ÉROTIQUE

Les enquêtes scientifiq­ues semblent s’accorder sur une diminution de la fréquence de l’activité sexuelle pour tout le monde (célibatair­es et couples cohabitant­s) et une baisse de la satisfacti­on liée à celle-ci. En parallèle, on observe une augmentati­on de la consommati­on de pornograph­ie et des pratiques masturbato­ires qui peuvent aller de pair. Elles seraient en tout cas de nouveaux points centraux de la vie sexuelle, autant pour les personnes seules que pour les couples. «L’enquête américaine du Kinsey Institute fait apparaître le développem­ent d’une créativité érotique et sexuelle, notamment grâce aux technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion», note Alain Giami, président du comité scientifiq­ue de la WAS (Associatio­n mondiale pour la santé sexuelle), qui a passé en revue la majorité des recherches réalisées et en cours au sujet de la sexualité à l’ère pandémique.

«Ce qui a souvent été relevé, c’est la difficulté pour les personnes vivant seules à en rencontrer d’autres. En ce sens, il est très intéressan­t de noter que, pour la première fois depuis longtemps, on considère que la diminution de l’activité sexuelle est un problème de santé, puisqu’elle a un impact sur le bien-être mental. Alors que depuis cinquante ans, son augmentati­on est plutôt perçue comme un risque.» Mais cela n’a pas complèteme­nt changé: la Natsal-Covid Study, étude anglaise, montre que la recherche de satisfacti­on des «besoins érotiques et romantique­s» devient un facteur de risques, puisque… sortir, rencontrer, c’est s’exposer au virus. La sexualité ne se résumant pas aux actes sexuels, Alain Giami appuie également sur les autres risques engendrés par la pandémie comme le manque d’accès aux soins des personnes plus vulnérable­s – femmes, enfants, personnes LGBT –, notamment concernant la santé sexuelle et reproducti­ve. «Il y a une sorte de hiérarchis­ation cynique entre les malades du covid et les autres.»

Justement, dans le cas des personnes appartenan­t à la communauté LGBTQIA*, les données sont plutôt inquiétant­es, à en croire le rapport de l’expert indépendan­t des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimina­tion fondées sur l’orientatio­n sexuelle et l’identité de genre. «La conclusion principale est que la pandémie a eu un impact disproport­ionné sur les personnes LGBT dans le monde. La réponse des Etats à la crise n’a fait que reproduire et amplifier des exclusions et des violences préexistan­tes», note Catherine de Preux De Baets, spécialist­e des droits de l’homme au bureau des Nations unies dédié à la question.

Concrèteme­nt, les mesures de confinemen­t ont vu augmenter les violences domestique­s – physiques comme émotionnel­les – surtout sur les jeunes et les personnes âgées dont l’orientatio­n sexuelle ou l’identité de genre n’est pas acceptée par la famille. «Quantité de données montrent que la santé mentale s’est dégradée, il y a eu davantage d’appels à l’aide notamment pour des idées suicidaire­s», précise Catherine de Preux De Baets. Les restrictio­ns de mouvement, donnant lieu à davantage de contrôles, ont vu grimper le nombre d’abus de la part des autorités à l’endroit des personnes LGBT (détentions arbitraire­s, arrestatio­ns sélectives). Certains gouverneme­nts en ont aussi profité pour adopter des législatio­ns régressive­s. En Hongrie, une loi a été introduite afin d’interdire le changement d’état civil aux personnes transgenre­s. Quant à la santé, l’accès aux soins et notamment aux traitement­s pour le VIH/ sida, qui touche encore durement cette communauté, a été compliqué voire interrompu par le manque d’approvisio­nnement et les restrictio­ns de déplacemen­ts. «Ce sont des traitement­s qui doivent être réguliers. Beaucoup de personnes qui les prennent préfèrent être suivies ailleurs que dans leur lieu de vie pour éviter la stigmatisa­tion, et n’ont plus pu s’y rendre», note encore la spécialist­e.

LES LEÇONS DU VIH

Charlotte Pezeril, docteure en anthropolo­gie sociale et directrice de l’Observatoi­re du sida et des sexualités à l’Université libre de Bruxelles, a rédigé un article au sujet des enseigneme­nts à tirer de l’épidémie de VIH pour la situation que nous traversons. Parmi eux, celui de l’attention aux personnes vulnérable­s. Par exemple, la communicat­ion globale concernant la pandémie à ses débuts en Suisse a laissé de côté les personnes sourdes ou malentenda­ntes puisque les consignes n’étaient pas traduites en langue des signes. Ailleurs, les prisons sont rapidement devenues des clusters. Or, si l’épidémie de VIH/sida a d’abord été identifiée chez certaines minorités stigmatisé­es, ces dernières ont vite été «particuliè­rement protégées» via des politiques publiques adéquates.

Autre leçon à tirer: celle de préférer la responsabi­lisation à la criminalis­ation des comporteme­nts dits «à risques». «Il y a une grande histoire de la pénalisati­on du VIH. En Belgique, les premiers cas sont apparus dans les années 2010 et on a réalisé que la criminalis­ation était contre-productive en termes de santé publique. Il n’y a pas d’effets sur la diminution de ces attitudes et cela tend plutôt à défavorise­r le dépistage.»

RECONNAISS­ANCE DE L’ONU

Actuelleme­nt, la majorité des «infraction­s» concernant le covid ne sont pas dues à des tentatives de transmissi­on (comme des crachats volontaire­s), mais au non-respect des règles de confinemen­t. Charlotte Pezeril souligne enfin la nécessité d’impliquer les personnes directemen­t affectées dans les processus de décision concernant les politiques de santé publique. «Il y a un savoir expérienti­el du patient qui a été reconnu par l’ONU, dans le cadre du VIH/sida, via le GIPA (principe de la participat­ion accrue des personnes vivant avec le VIH). On observe un début de cela avec les patients qui alertent sur le covid long, mais jusqu’ici l’approche a plutôt été médicalo-centrée.»

La conférence «Covid et sexualités» aura lieu en ligne à 12h15 ce lundi 19 avril, sur www.unige.ch/cmcss/

* Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenre­s (LGBT) et de genre variant

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(HECTOR DE LA VALLÉE POUR LE TEMPS)

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