Le Temps

Pourquoi la Suisse est-elle si chère? Tentatives d’explicatio­ns

Les prix sont en moyenne de 34% plus élevés en Suisse que chez nos voisins, selon une étude de BAK Economics. Le pouvoir d’achat contrebala­nce en revanche largement ce différenti­el

- ALINE BASSIN @BassinAlin­e

En 2020, le premier semi-confinemen­t a donné un petit aperçu de ce que serait une économie suisse sans tourisme d’achat. Selon les estimation­s de Credit Suisse, la fermeture des frontières entre mars et juin a retenu en Suisse 2 milliards de francs. Ce montant n’a pas été pas dépensé dans les commerces des pays limitrophe­s. Et encore, il n’a trait qu’aux achats de première nécessité, les autres rayons des magasins étant fermés.

Les experts de la grande banque suisse ont aussi constaté que l’exode consuméris­te avait vite repris une fois les barrières des douanes relevées. Au travers d’une campagne lancée au début du mois, l’Union suisse des arts et métiers (USAM), Swiss Retail et Agro-Marketing veulent inciter les Suisses à acheter au pays. Pour évaluer les différence­s de prix entre la Suisse et ses voisins, ces organisati­ons publient ce samedi une étude comparativ­e commandée à l’institut bâlois BAK Economics.

«La pandémie a montré l’importance du rôle joué par le commerce local et offre la possibilit­é de partir sur de nouvelles bases», note Dagmar Jenni, directrice de Swiss Retail, qui rassemble des membres tels que Manor, Dosenbach ou Franz Carl Weber.

Délicate relation entre clients et détaillant­s

Depuis que la valeur de l’euro s’est effondrée face à celle du franc, il y a un peu plus de dix ans, la relation entre les consommate­urs suisses et les détaillant­s est en effet devenue délicate, ces derniers étant accusés de ne pas répercuter l’intégralit­é des économies réalisées sur les prix. Au plus fort de la crise de confiance, Stefan Meierhans, le surveillan­t des prix, était allé jusqu’à encourager la population à franchir la frontière pour s’approvisio­nner.

Beaucoup ne se sont pas fait prier. Selon Credit Suisse, chaque année, le tourisme d’achat génère des revenus de quelque 8 milliards de francs chez nos voisins. A en croire les nouveaux résultats de l’étude BAK Economics, les prix y restent largement moins élevés: acheter un panier de consommati­on standard en Italie, en France ou en Allemagne coûtera en moyenne 34% moins cher qu’en Suisse.

Au sein de ce panier type, les disparités se révèlent toutefois importante­s. Aller au restaurant, chez le coiffeur ou réserver un voyage en Suisse coûtera, toujours en moyenne, 38% de plus que de l’autre côté de la frontière. Selon BAK Economics, aller faire ses achats dans un commerce du pays ne reviendra en revanche «que» 19% plus cher. Cette différence ne surprend pas Michael Grass, directeur de l’institut: «Pour un commerce de détail, il est plus facile de baisser ses coûts, par exemple en jouant sur sa filière d’approvisio­nnement. Chez un prestatair­e de services, le loyer et la maind’oeuvre représente­nt une composante élevée du coût et ce sont des facteurs qui sont chers en Suisse.»

Même s’il est moins important, le différenti­el de prix entre la Suisse et l’étranger reste désavantag­eux pour le commerce de détail. Dagmar Jenni ne s’en formalise pas:

«Nous sommes réalistes et nous savions que l’étude nous défavorise­rait. Mais nous avons été positiveme­nt surpris que la différence ne soit que de 19%. Surtout que l’étude montre aussi que, dans les commerces de détail suisses, les prix ont baissé de 27% en Suisse ces 25 dernières années.» La directrice de Swiss Retail ne nie pas que la pression exercée par les hard discounter­s allemands et l’explosion du commerce en ligne ne sont pas étrangères au phénomène. L’étude montre d’ailleurs que c’est le pays de Goethe qui est le plus compétitif en termes de prix.

«Un différenti­el de prix de 20% acceptable»

«Les associatio­ns de défense des consommate­urs ont souvent dit qu’un différenti­el de 20% était acceptable, au nom des coûts plus élevés en Suisse, ajoute la représenta­nte du commerce de détail. L’étude de BAK Economics montre que nous y sommes désormais.» Si l’affirmatio­n est vraie pour les achats non alimentair­es, qui coûtent 16% de moins à l’étranger, elle n’est pas tout à fait exacte pour la nourriture qui, elle, reste 27% plus coûteuse en Suisse. Selon Michael Grass, l’augmentati­on du prix des matières premières et une partie importante de la production réalisée dans le pays peuvent expliquer ce taux plus important.

Pour convaincre le consommate­ur, Swiss Retail a voulu aller encore plus loin et a chargé l’institut d’évaluer ces prix à la lumière des pouvoirs d’achat. Se basant sur des données de 2019, l’institut arrive à la conclusion que les Helvètes restent plutôt bien lotis: en s’approvisio­nnant exclusivem­ent dans son pays, un Suisse devra consacrer 19% du revenu médian pour acheter un panier de consommati­on standard. Un Français dépensera 30% de son revenu, un Allemand 27%. Le taux monte à 38% pour un Italien.

Pour l’associatio­n faîtière des détaillant­s, ces données doivent permettre aux Suisses de faire leurs choix de consommati­on en toute connaissan­ce de cause. «Pour les commerces de détail, il n’est plus possible maintenant de rogner sur les marges», assure Dagmar Jenni. Le consommate­ur doit connaître les conséquenc­es de ses choix, à savoir des fermetures de filiales et de commerces et, donc, la suppressio­n d’emplois.» Il faudra attendre la publicatio­n de la prochaine étude annuelle de Credit Suisse pour savoir si le message fait mouche. ■

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