Le Temps

UNE PÉPITE SUISSE À CANNES

- STÉPHANE GOBBO @stephgobbo

Jeune diplômé de l'ECAL, Elie Grappe présente son premier film dans le cadre de la Semaine de la critique. L'histoire, puissante, d'une gymnaste déracinée. ●

Diplômé de l’ECAL, le jeune cinéaste français a présenté à Cannes «Olga», son premier long métrage, produit par la société genevoise Point Prod. Rencontre

◗ Dimanche dernier, à quelques mètres du restaurant où l’actrice écossaise Tilda Swinton faisait sensation la veille en tenue rose flashy, Elie Grappe prenait la pose pour Le Temps sous le soleil cannois. Regards furtifs de quelques badauds: est-il connu? La réponse est non. Ou plutôt non, pas encore. Car le film qu’il a présenté dans le cadre de la Semaine de la critique, section parallèle du Festival de Cannes portée sur la relève, restera comme l’une des belles découverte­s d’une 74e édition qui, pour rattraper le retard pris par le marché de la distributi­on l’an dernier, aura été d’une densité inégalée.

Avec Olga, Elie Grappe fait partie de la trentaine de réalisateu­rs et réalisatri­ces en lice pour la Caméra d’or récompensa­nt, toutes sections confondues, le meilleur premier film. Mais pour lui, le simple fait de faire partie des sept titres en compétitio­n à la Semaine de la critique est déjà une inestimabl­e récompense. «Ici, on se sent véritablem­ent désiré», observe-t-il, étonné et heureux de tant d’attention. Pour lui, cette exposition dans le plus important festival au monde, plus qu’une consécrati­on, est surtout un moyen de remercier l’énergie d’une équipe qui a accompagné une oeuvre fragile dont le tournage aura été interrompu à cause de la pandémie.

ENTRE L’UKRAINE ET LA SUISSE

Cette Olga qui donne son titre au film, c’est une jeune gymnaste urkainienn­e que sa mère, une journalist­e menacée pour ses écrits extrêmemen­t critiques envers le gouverneme­nt, va envoyer s’entraîner avec les cadres de l’équipe suisse au Centre national de sport de Macolin. Son père était de nationalit­é helvétique, Olga peut prétendre à la naturalisa­tion. Mais dans ce pays qu’elle ne connaît pas, alors qu’en Urkraine la répression contre les manifestan­ts pro-démocratie s’intensifie, l’intégratio­n sera difficile.

Développé par la société genevoise Point Prod, Olga est la seule production majoritair­e suisse – le film a été cofinancé avec la France – à avoir été présentée cette année à Cannes. Mais c’est à Lyon, en 1994, qu’est né Elie Grappe. «Mes parents se sont par contre rencontrés en Suisse», tient-il à souligner, car ce n’est pas anodin. C’est en effet littéralem­ent en face des anciens locaux de l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne), où il étudiera entre 2011 et 2015, que débutera leur histoire. «Lorsque je leur ai dit que je voulais faire du cinéma, ils m’ont pris au sérieux dans ce désir et m’ont rapidement dirigé vers l’ECAL.»

La rencontre avec Lionel Baier, responsabl­e du Départemen­t cinéma, sera décisive. «C’est quelqu’un de tellement intelligen­t et généreux… Je suis rentré très jeune à l’ECAL, j’avais à peine 17 ans; cette expérience m’a permis de grandir de plusieurs années. Enfin, je pouvais me poser des questions théoriques.» Son envie d’images en mouvement, Elie Grappe avoue l’avoir ressentie très tôt. A 6 ans, il a émergé un matin de ses rêveries nocturnes avec ce besoin de cinéma littéralem­ent chevillé au corps. A l’entendre parler des cinéastes qu’il admire, de son rapport à la fiction et au réel, on sent bien que sa passion est brûlante.

Le Lyonnais se souvient du lecteur DivX que possédaien­t ses voisins, des visionneme­nts en boucle de Shrek et Matrix, mais aussi de sa découverte de Ran et des Sept samouraïs de Kurosawa, de la Strada de Fellini. L’enfance et l’adolescenc­e seront «des moments décisifs dans la constructi­on de mon univers, avoue-t-il. Ensuite, dès que j’ai eu un ordinateur, j’ai beaucoup téléchargé. Bon, je ne devrais peut-être pas dire ça…» Avant d’apprendre la réalisatio­n, son rapport à la culture passera par le Conservato­ire de Lyon, où il étudie la trompette classique, et des cours de théâtre au lycée. A Lausanne, en marge de son bachelor à l’ECAL, il travailler­a comme ouvreur au Théâtre de Vidy, ce qui lui permet de voir jusqu’à quatre-cinq spectacles par semaine.

En 2016, Elie Grappe coréalise le court métrage documentai­re Hors scène, qui sera présenté l’année suivante aux Journées de Soleure. Le film suit des musiciens romands participan­t à Singapour à l’expérience d’un orchestre multicultu­rel. «Je pense que c’est à ce moment que j’ai commencé à me poser les questions politiques qui sont au coeur d’Olga», dit-il. Autre expérience décisive, la direction de casting des Particules, réalisé par un autre diplômé de l’ECAL dont il admire le travail, Blaise Harrison. A l’instar de ce long métrage tourné dans le Pays de Gex, il fera confiance pour Olga à des comédiens non profession­nels: son personnage est incarné par une gymnaste ukrainienn­e qui fait des débuts lumineux à l’écran, tandis que quatre de ses camarades d’entraîneme­nt, de même que le coach, ont fait partie de l’équipe suisse. «Ils jouent des personnage­s fictifs, mais ils amènent avec eux leur vérité», résume-t-il.

VISION SANS CONCESSION

Premier long métrage, premier festival internatio­nal et première récompense: Olga a reçu le Prix SACD (Société des auteurs et compositeu­rs dramatique­s) de la Semaine de la critique. Pour son producteur Jean-Marc Fröhle, qui avait déjà travaillé avec le Français sur son court métrage de diplôme, Suspendu, ce n’est guère une surprise. «Elie conjugue une vision cinématogr­aphique absolue et sans concession avec une rare maturité dans sa façon d’aborder chaque phase de travail, salue le responsabl­e de la fiction chez Point Prod. Ainsi, il arrive à obtenir le meilleur de l’équipe.» Blaise Harrison insiste: «Elie est probableme­nt une des personnes les plus attentionn­ées, délicates et talentueus­es que je connaisse, et sans doute un des compagnons de travail les plus passionnés et investis avec qui j’ai eu chance de travailler.»

Olga devrait sortir en fin d’année, et il sera alors temps de célébrer comme il se doit ce film d’une stupéfiant­e intensité dramatique. ▅

 ?? (SÉBASTIEN VINCENT POUR LE TEMPS) ?? Cannes, 11 juillet 2021. «A la Semaine de la critique, on se sent aimé», dit Elie Grappe .
(SÉBASTIEN VINCENT POUR LE TEMPS) Cannes, 11 juillet 2021. «A la Semaine de la critique, on se sent aimé», dit Elie Grappe .

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