UNE PÉPITE SUISSE À CANNES
Jeune diplômé de l'ECAL, Elie Grappe présente son premier film dans le cadre de la Semaine de la critique. L'histoire, puissante, d'une gymnaste déracinée. ●
Diplômé de l’ECAL, le jeune cinéaste français a présenté à Cannes «Olga», son premier long métrage, produit par la société genevoise Point Prod. Rencontre
◗ Dimanche dernier, à quelques mètres du restaurant où l’actrice écossaise Tilda Swinton faisait sensation la veille en tenue rose flashy, Elie Grappe prenait la pose pour Le Temps sous le soleil cannois. Regards furtifs de quelques badauds: est-il connu? La réponse est non. Ou plutôt non, pas encore. Car le film qu’il a présenté dans le cadre de la Semaine de la critique, section parallèle du Festival de Cannes portée sur la relève, restera comme l’une des belles découvertes d’une 74e édition qui, pour rattraper le retard pris par le marché de la distribution l’an dernier, aura été d’une densité inégalée.
Avec Olga, Elie Grappe fait partie de la trentaine de réalisateurs et réalisatrices en lice pour la Caméra d’or récompensant, toutes sections confondues, le meilleur premier film. Mais pour lui, le simple fait de faire partie des sept titres en compétition à la Semaine de la critique est déjà une inestimable récompense. «Ici, on se sent véritablement désiré», observe-t-il, étonné et heureux de tant d’attention. Pour lui, cette exposition dans le plus important festival au monde, plus qu’une consécration, est surtout un moyen de remercier l’énergie d’une équipe qui a accompagné une oeuvre fragile dont le tournage aura été interrompu à cause de la pandémie.
ENTRE L’UKRAINE ET LA SUISSE
Cette Olga qui donne son titre au film, c’est une jeune gymnaste urkainienne que sa mère, une journaliste menacée pour ses écrits extrêmement critiques envers le gouvernement, va envoyer s’entraîner avec les cadres de l’équipe suisse au Centre national de sport de Macolin. Son père était de nationalité helvétique, Olga peut prétendre à la naturalisation. Mais dans ce pays qu’elle ne connaît pas, alors qu’en Urkraine la répression contre les manifestants pro-démocratie s’intensifie, l’intégration sera difficile.
Développé par la société genevoise Point Prod, Olga est la seule production majoritaire suisse – le film a été cofinancé avec la France – à avoir été présentée cette année à Cannes. Mais c’est à Lyon, en 1994, qu’est né Elie Grappe. «Mes parents se sont par contre rencontrés en Suisse», tient-il à souligner, car ce n’est pas anodin. C’est en effet littéralement en face des anciens locaux de l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne), où il étudiera entre 2011 et 2015, que débutera leur histoire. «Lorsque je leur ai dit que je voulais faire du cinéma, ils m’ont pris au sérieux dans ce désir et m’ont rapidement dirigé vers l’ECAL.»
La rencontre avec Lionel Baier, responsable du Département cinéma, sera décisive. «C’est quelqu’un de tellement intelligent et généreux… Je suis rentré très jeune à l’ECAL, j’avais à peine 17 ans; cette expérience m’a permis de grandir de plusieurs années. Enfin, je pouvais me poser des questions théoriques.» Son envie d’images en mouvement, Elie Grappe avoue l’avoir ressentie très tôt. A 6 ans, il a émergé un matin de ses rêveries nocturnes avec ce besoin de cinéma littéralement chevillé au corps. A l’entendre parler des cinéastes qu’il admire, de son rapport à la fiction et au réel, on sent bien que sa passion est brûlante.
Le Lyonnais se souvient du lecteur DivX que possédaient ses voisins, des visionnements en boucle de Shrek et Matrix, mais aussi de sa découverte de Ran et des Sept samouraïs de Kurosawa, de la Strada de Fellini. L’enfance et l’adolescence seront «des moments décisifs dans la construction de mon univers, avoue-t-il. Ensuite, dès que j’ai eu un ordinateur, j’ai beaucoup téléchargé. Bon, je ne devrais peut-être pas dire ça…» Avant d’apprendre la réalisation, son rapport à la culture passera par le Conservatoire de Lyon, où il étudie la trompette classique, et des cours de théâtre au lycée. A Lausanne, en marge de son bachelor à l’ECAL, il travaillera comme ouvreur au Théâtre de Vidy, ce qui lui permet de voir jusqu’à quatre-cinq spectacles par semaine.
En 2016, Elie Grappe coréalise le court métrage documentaire Hors scène, qui sera présenté l’année suivante aux Journées de Soleure. Le film suit des musiciens romands participant à Singapour à l’expérience d’un orchestre multiculturel. «Je pense que c’est à ce moment que j’ai commencé à me poser les questions politiques qui sont au coeur d’Olga», dit-il. Autre expérience décisive, la direction de casting des Particules, réalisé par un autre diplômé de l’ECAL dont il admire le travail, Blaise Harrison. A l’instar de ce long métrage tourné dans le Pays de Gex, il fera confiance pour Olga à des comédiens non professionnels: son personnage est incarné par une gymnaste ukrainienne qui fait des débuts lumineux à l’écran, tandis que quatre de ses camarades d’entraînement, de même que le coach, ont fait partie de l’équipe suisse. «Ils jouent des personnages fictifs, mais ils amènent avec eux leur vérité», résume-t-il.
VISION SANS CONCESSION
Premier long métrage, premier festival international et première récompense: Olga a reçu le Prix SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) de la Semaine de la critique. Pour son producteur Jean-Marc Fröhle, qui avait déjà travaillé avec le Français sur son court métrage de diplôme, Suspendu, ce n’est guère une surprise. «Elie conjugue une vision cinématographique absolue et sans concession avec une rare maturité dans sa façon d’aborder chaque phase de travail, salue le responsable de la fiction chez Point Prod. Ainsi, il arrive à obtenir le meilleur de l’équipe.» Blaise Harrison insiste: «Elie est probablement une des personnes les plus attentionnées, délicates et talentueuses que je connaisse, et sans doute un des compagnons de travail les plus passionnés et investis avec qui j’ai eu chance de travailler.»
Olga devrait sortir en fin d’année, et il sera alors temps de célébrer comme il se doit ce film d’une stupéfiante intensité dramatique. ▅