Le Temps

Julia Ducournau, une Palme d’or qui ne convainc pas. Décryptage du palmarès

Vingthuit ans après Jane Campion, la Française Julia Ducournau est la deuxième femme sacrée à Cannes. Pour «Titane», un film trash qui a divisé la Croisette

- STÉPHANE GOBBO, CANNES @StephGobbo

Le Festival de Cannes aura tenu son pari d'être la première grande manifestat­ion internatio­nale à avoir eu lieu dans une configurat­ion normale – sans limite de jauge – depuis le début de la pandémie. Et pour bien marquer le territoire face aux concurrent­s directs que sont en septembre les festivals de Toronto et de Venise, la sélection officielle a été revue à la hausse, avec 24 longs métrages en compétitio­n et la création d'une nouvelle section, Cannes Première, destinée à accueillir les films de cinéastes amis (Mathieu Amalric, Arnaud Desplechin, Marco Bellocchio ou encore Hong Sang-soo) mais qui n'avaient pas forcément leur place dans la course à la Palme d'or.

Pour le directeur artistique Thierry Frémaux, l'équilibre a été périlleux entre les films prêts en 2020 mais qui ont préféré attendre (ceux notamment de Kirill Serebrenni­kov, Apichatpon­g Weerasetha­kul, Nanni Moretti, Wes Anderson et Leos Carax) et les nouvelles propositio­ns, comme Les Intranquil­les, de Joachim Lafosse, qui aura été le seul titre véritablem­ent ancré dans cette année 2020 si particuliè­re, avec des masques et des mentions au covid dans le récit, même si le sujet n'est pas le virus.

Surpondéra­tion française

De cette surabondan­ce de titres est venue une déception. Vingtquatr­e films en lice pour la Palme d'or, c'est trop, et certains n'ont pas tenu leur rang. De manière globale, la compétitio­n 2021 souffre de la comparaiso­n avec une édition 2019 qui était généreuse en oeuvres majeures, à l'image de Parasite (Bong Joon-ho), Douleur et gloire (Pedro Almodóvar), Les Misérables (Ladj Ly), Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma), It Must Be Heaven (Elia Suleiman) ou Roubaix, une lumière (Arnaud Desplechin). Une surpondéra­tion française, avec huit titres en concours si on compte le Benedetta du Néerlandai­s Paul Verhoeven, a de même donné l'impression d'une sélection à l'équilibre global instable.

Enceinte d’une voiture

Déception aussi du côté de la présence féminine avec seulement quatre réalisatri­ces en compétitio­n, soit le même nombre qu'en 2019 pour une grille qui comptait trois films de moins. Le jury était par contre composé de cinq femmes (Mati Diop, Jessica Hausner, Maggie Gyllenhaal, Mélanie Laurent et Mylène Farmer) et quatre hommes (Kleber Mendonça Filho, Tahar Rahim, Song Kang-ho et le président Spike Lee). On ne sait pas à quel point celles-ci auront influé sur le palmarès, mais toujours est-il que la Palme d'or récompense pour la deuxième fois seulement une femme. Vingt-huit ans après Jane Campion et sa sublime Leçon de piano, la Française Julia Ducournau

«Merci au jury de laisser rentrer les monstres» JULIA DUCOURNAU, LAURÉATE DE LA PALME D’OR

a été sacrée pour Titane, un film choc qui a divisé la Croisette.

Racontant l'histoire d'une jeune femme qui va tuer sauvagemen­t beaucoup de monde, tomber enceinte d'une voiture et se faire passer pour un garçon disparu alors que son corps suinte l'huile de moteur noirâtre, Titane est un film narrativem­ent et esthétique­ment radical, sans concession. Mais c'est aussi, hélas, un film qui ne dit pas grand-chose sur le monde et s'apparente plus à un exercice de style prétentieu­x qu'à un grand film qui marquera l'histoire. Dommage que le jury ait choisi de récompense­r une oeuvre qui mise tout sur la provocatio­n facile. Titane est sorti dans les salles romandes mercredi dernier, nul doute que cette Palme va doper sa fréquentat­ion. Mais comme ce fut le cas à Cannes, certains spectateur­s quitteront probableme­nt la salle en cours de projection.

Comme pour compenser cette décision, le Grand Prix et le Prix du jury récompense­nt non pas deux, mais quatre films. Là encore, on a de quoi être surpris, à l'image d'une soirée de clôture étrange, qui a vu Spike Lee commencer par annoncer d'emblée la Palme d'or, avant d'être repris in extremis par la maîtresse de cérémonie Doria Tillier. Ces doubles prix affaibliss­ent les lauréats: Apichatpon­g Weerasetha­kul pour son sublime Memoria et Asghar Farhadi pour son solide

Un Héros auraient mérité de figurer au palmarès en solo.

Pour le reste, rien à redire. Saluer l'art de la mise en scène du précieux Leos Carax (Annette), comme valider l'interpréta­tion de la Norvégienn­e Renate Reinsve (Julie en 12 chapitres) et de l'Américain Caleb Landry Jones (Nitram), est tout ce qu'il y a de plus logique. Idem avec le Prix du scénario, décerné aux Japonais Ryusuke Hamaguchi et Takamasa Oe pour la manière dont ils ont transcendé avec Drive my Car une courte nouvelle d'Haruki Murakami.

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