Le Temps

La science, thématique de cette semaine, animée par Gisou van der Goot

- JULIA STEINBERGE­R PROFESSEUR­E À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE ET DE LEEDS, AUTEURE DU GIEC

UN NOUVEAU VOCABULAIR­E POUR LA MÉTÉO D’UN MONDE EN CRISE CLIMATIQUE

J’en suis venue à craindre les étés. C’est désormais, déjà, la saison des canicules mortelles, des incendies ravageurs. Le 30 juin, la petite ville de Lytton au Canada battait tous les records de températur­e: 49,6°C. Le lendemain, elle était entièremen­t détruite par un incendie. Nous avons, en 2021 déjà, besoin d’un nouveau vocabulair­e pour décrire la météo d’un monde en crise climatique: vortex polaire, dôme de chaleur, tornades de feu… Mais nous perdons aussi nos mots. Nous ne pouvons plus vraiment parler de «catastroph­es naturelles», par exemple, étant donné qu’elles sont maintenant visiblemen­t le fruit d’actions humaines, amplifiées démesuréme­nt par notre «emmitoufle­ment» industriel de l’atmosphère, qui rajoute chaque année une épaisseur de plus d’émissions réchauffan­tes.

Je suis chercheuse dans le domaine du climat: pas de ses mécanismes planétaire­s, mais du côté de ses causes sociales. Et je cherche désespérém­ent une clef, une solution, une issue de secours. Si on comprend la cause du mal, on perçoit peut-être son remède. La cause du réchauffem­ent climatique, en termes socio-économique­s, est très simple il faut l’avouer. Tellement simple que l’année passée nous avons publié un article dans Nature Communicat­ions intitulé «Avertissem­ent scientifiq­ue sur la richesse». En gros, nos économies sont dépendante­s d’énergie pour croître, et la combustion d’énergie fossile (80% de l’énergie primaire au niveau mondial) nous mène à un avenir infernal. Cataclysmi­que. Apocalypti­que. On me dira que j’utilise des gros mots – des mots exagérés. Alarmistes, même. Mais d’ici 2025, sur notre trajectoir­e actuelle, nous atteindron­s une concentrat­ion atmosphéri­que de CO2 qui n’a pas été vue sur Terre depuis 15 millions d’années. 15 millions d’années, ce n’est pas imaginable en termes humains, et pour cause: notre espèce d’Homo sapiens n’a «que» 250 000 ans. Le genre humain n’en aurait que 2 millions. De fait, notre vocabulair­e est tout simplement insuffisan­t pour représente­r la dangerosit­é et l’urgence de notre présent.

Si nous connaisson­s trop bien la cause de la crise climatique, est-ce que nous appréhendo­ns les contours de ses solutions? Oui, bien sûr. Cesser d’utiliser les combustibl­es fossiles, se tourner vers les énergies vertes, consommer moins (transports, chauffage, objets en tous genres) et mieux (régime alimentair­e basé sur les plantes). Mais ces solutions peinent à se faire apprécier, dans nos économies vouées à la croissance, où les citoyens-consommate­urs perçoivent une perte de pouvoir d’achat comme plus terrifiant­e qu’une perte d’habitabili­té de leur planète. Tant que notre propre maison n’a pas été ni brûlée ni inondée, tant que nous avons, comme pays prospère, de quoi manger, pourquoi se soucier de quelques scientifiq­ues désespérés qui utilisent des gros mots alarmistes, et ne sont même plus capables d’apprécier une petite canicule par-ci par-là?

Alors je continue de chercher une issue de secours. De rêver à une porte magique vers un autre monde. Et dans mon projet Living Well Within Limits (bien vivre à l’intérieur des limites planétaire­s), nous avons trouvé, sinon la porte elle-même, du moins certains de ses contours. Nous avons pu estimer et modéliser la consommati­on énergétiqu­e qui correspond­rait à une vie décente, sans pauvreté ni carences, pour tous sur Terre sans exception. Si nous nous orientons vers une consommati­on d’énergie suffisante, en utilisant les technologi­es les plus efficaces pos

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