Le Temps

L’Union européenne se veut plus exigeante sur les obligation­s vertes

Le nouveau standard pour les «green bonds» dévoilé le 6 juillet renforce les exigences et l’attractivi­té de l’Union européenne, alors que la Suisse cherche à se positionne­r comme un leader de la finance durable

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Déjà hégémoniqu­e sur le marché des obligation­s vertes, l’Europe va-t-elle renforcer sa position grâce au nouveau standard qu’elle veut instaurer pour ces instrument­s? Les mesures en faveur du climat annoncées le 14 juillet par l’Union européenne (UE) constituen­t le dernier paquet en date décidé par notre grand voisin, après le plan de relance «Next Generation EU» conçu pour sortir de la crise du covid et engager l’Europe sur une voie plus durable. Pour financer ces initiative­s, les obligation­s vertes joueront un rôle central. C’est pourquoi l’UE a dévoilé le 6 juillet un projet de nouveau standard pour ces instrument­s, qui devrait entrer en vigueur fin 2022. Rendra-t-il vraiment la finance plus verte? Renforcera-t-il l’attractivi­té de l’UE pour les émissions de green bonds, alors que la place financière suisse cherche à se positionne­r comme un centre de la finance durable?

Ce standard volontaire repose sur quatre grands principes: les projets financés par des green bonds devront être alignés avec la taxonomie de l’UE, qui définit ce qui est considéré comme durable ou pas; l’utilisatio­n des fonds levés devra faire l’objet d’une transparen­ce totale; cette dernière sera vérifiée par des auditeurs externes, et ceux-ci seront supervisés par l’AEMF, l’Autorité européenne des marchés financiers.

Système cohérent

Avec cette nouvelle norme, l’UE met en place un système cohérent pour ses émissions d’obligation­s, qui vont devenir beaucoup plus importante­s, analyse Catherine Reichlin, responsabl­e de la recherche financière à la banque Mirabaud: «Avant le plan de relance Next Generation EU, l’UE émettait peu d’obligation­s, seulement pour se financer ellemême, et chaque Etat empruntait pour ses propres besoins. Next Generation EU et le fonds anti-crise SURE reposent sur une mutualisat­ion de la dette au niveau européen: l’UE va emprunter davantage et les sommes levées seront attribuées aux Etats membres, sous forme de subvention­s ou de prêts. L’Europe voulant initier une relance écologique, les obligation­s vertes joueront un grand rôle dans ce dispositif.»

A travers ces deux programmes, l’UE émettra potentiell­ement pour 850 milliards d’euros de nouvelles obligation­s (750 milliards pour le plan Next Generation EU et 100 milliards pour le fonds SURE, destiné à atténuer les risques de chômage en cas d’urgence). En empruntant probableme­nt plus de 100 milliards par année entre 2021 et 2024, «l’Union européenne est sur le point de passer du statut d’émetteur de second rang à celui de colosse du marché obligatair­e», selon une note de l’équipe de recherche de Mirabaud. Un colosse qui a besoin d’un cadre pour ses emprunts.

Le nouveau standard européen reprend certains éléments des directives internatio­nales existantes comme le Climate Bonds Standard et surtout les Green Bonds Principles de l’ICMA, l’associatio­n internatio­nale des marchés de capitaux: utilisatio­n des fonds selon des catégories de projet prédéfinie­s, mesure de l’impact et auditing. Ce qui fait dire à Catherine Reichlin que l’EUGBS n’apportera pas grand-chose, si ce n’est de la cohérence avec les ambitions de la zone euro et de la nouvelle taxonomie dont elle s’est dotée.

Davantage d’informatio­ns précises à fournir

Analyste chez NN Investment Managers, qui gère 4 milliards d’euros en green bonds, Isobel Edwards voit plusieurs avancées: «Les émetteurs ne pourront plus se contenter de mentionner que les fonds levés seront utilisés dans un secteur, par exemple pour la réduction des émissions de CO2 par le secteur du transport. Ce standard européen les obligera à préciser un seuil technique que les investisse­ments financés devront permettre d’atteindre. Pour rester dans le cas du transport, les émetteurs devront par exemple mentionner l’objectif de ne pas dépasser 50 g de CO2 émis par km.» En conséquenc­e, les fonds levés dans ce cas hypothétiq­ue ne pourraient pas être utilisés pour acquérir certains véhicules hybrides (qui dépassent ce seuil), mais plutôt des voitures 100% électrique­s.

Ce niveau de précision «offre un bon outil pour lutter contre le greenwashi­ng, enchaîne Douglas Farquhar, spécialist­e des green bonds chez NN IM. Jusqu’à maintenant, les émetteurs peuvent largement auto-évaluer leurs obligation­s vertes; à l’avenir, ils devront respecter des critères spécifique­s.» Concernant la vérificati­on des projets, enfin, le projet de la Commission européenne prévoit une méthodolog­ie d’évaluation standardis­ée, alors qu’à présent les agences de notation jugeant la durabilité utilisent différente­s méthodolog­ies, dont les détails ne sont souvent pas dévoilés. Une incertitud­e demeure sur une éventuelle hausse des coûts de la certificat­ion, qui est pour l’instant négligeabl­e, relèvent nos interlocut­eurs, «cela pourrait constituer une barrière supplément­aire à l’émission de green bonds.»

Ce système va-t-il améliorer la durabilité des obligation­s vertes? «Cela dépend beaucoup de l’émetteur, poursuit Douglas Farquhar, mais on observera probableme­nt un gain en qualité, notamment car le nouveau standard pénalisera les émissions de green bonds qui visent essentiell­ement à assurer un coup de publicité aux émetteurs.» Autre possibilit­é: que le renforceme­nt des exigences de transparen­ce conduise à exclure davantage de projets faussement durables.

En se dotant d’un tel label – même s’il n’est pas obligatoir­e –, l’UE va-t-elle attirer davantage d’émetteurs, y compris des entreprise­s suisses? La place financière helvétique, qui veut se positionne­r comme un centre mondial de la finance durable, reste un acteur mineur des green bonds, avec seulement 49 obligation­s de ce type en francs disponible­s sur le marché (70% des green bonds déjà émis sont libellés en euros). Le nouveau standard européen ne devrait guère changer la situation en Suisse, ni en bien ni en mal, reprend Catherine Reichlin, de Mirabaud: «En Suisse, un droit de timbre de 0,15% est prélevé lorsqu’un investisse­ur achète une obligation existante sur le marché secondaire. Avec un rendement de 4%, ce surcoût est acceptable, mais quand le coupon est de 0,15%, le droit de timbre représente une année de rémunérati­on, c’est un problème, sans compter les frais de transactio­n.»

Autre épine made in Switzerlan­d, l’impôt anticipé fait que «si un investisse­ur ne déclare pas son revenu, il perdra un tiers de son coupon, ce qui est découragea­nt», poursuit la spécialist­e genevoise. Pour un émetteur étranger, lancer une émission en francs permet de diversifie­r ses sources de financemen­t, «mais depuis 2015 et le passage à des taux d’intérêt négatifs, il est devenu très cher pour les entreprise­s étrangères de couvrir leur risque de change, ce qui explique que, après avoir représenté au moins la moitié du marché, elles ne sont plus à l’origine que d’un quart des émissions en francs», précise Catherine Reichlin. Reste encore la question de la demande, conclut-elle: «Le marché obligatair­e est beaucoup animé par les institutio­nnels, or les fonds de pension suisses sont moins orientés ESG que leurs homologues européens.»

Se rapprocher de la pratique européenne

Tant que la Suisse dispose du désavantag­e structurel qu’est le droit de timbre, il est illusoire de vouloir gagner des parts de marché dans les green bonds face à l’Europe, enchaîne Adrian Schatzmann, directeur de l’Asset Management Associatio­n, qui représente les acteurs du secteur en Suisse. «Ceux qui veulent que la Suisse devienne un leader mondial de la finance verte doivent faire en sorte que le droit de timbre soit aboli», poursuit-il.

Selon Adrian Schatzmann, la Suisse aurait tout intérêt à se rapprocher de la pratique européenne, peut-être en appliquant les critères définis par le nouveau standard ou en définissan­t une taxonomie proche de celle de notre grand voisin. «L’approche suisse doit être clarifiée», conclut-il.

Soutenir les émissions d’obligation­s vertes pourrait passer par une aide financière pour la certificat­ion des green bonds comme il en existe à Singapour depuis janvier 2021, avance pour sa part Jean Laville, directeur adjoint de Swiss Sustainabl­e Finance. Singapour subvention­ne jusqu’à l’équivalent de 68 000 francs les entreprise­s qui souhaitent faire certifier le côté durable des projets qu’elles entendent financer.

«Pour que la Suisse devienne un leader mondial de la finance verte, il faut abolir le droit de timbre» ADRIAN SCHATZMANN, DIRECTEUR DE L’ASSET MANAGEMENT ASSOCIATIO­N

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