Entre Paris et Londres, un duel vaccinal et politique
Au Royaume-Uni, ce lundi de réouverture porte déjà un surnom: le «freedom day». En France où le projet de loi sur le «passe sanitaire obligatoire» sera présenté aujourd’hui en Conseil des ministres, l’ère des fermetures est loin d’être révolue
Boris Johnson, cas contact, ne prononcera pas le discours attendu ce lundi pour célébrer la réouverture complète de l’Angleterre, baptisée «freedom day»
■ Fidèle à la culture du risque et à la tradition libérale de son pays, le premier ministre britannique a choisi de tourner la page du covid malgré la forte hausse des contaminations
■ A l’opposé, la France entre ce lundi dans une semaine de tensions politiques avec le débat au parlement sur le projet de loi imposant le passe sanitaire, avec sanctions à l’appui
Alors que le gouvernement de Boris Johnson a décidé une réouverture complète de l’Angleterre ce lundi (Ecosse, Pays de Galles et Irlande du Nord suivent leur propre stratégie sanitaire), les autorités françaises resserrent leur étreinte sur les non-vaccinés. Un projet de loi imposant le «passe sanitaire» dans les lieux publics sera débattu au parlement à partir de ce mercredi. Deux approches aux antipodes et une bonne dose d’acrimonie politique en sus.
1. LE GRAND FOSSÉ VACCINAL En décidant de se désolidariser des commandes groupées européennes, et en signant des contrats très tôt auprès de tous les fabricants de vaccins, sans regarder sur la dépense, le Royaume-Uni a su prendre de l’avance dans sa campagne vaccinale. Le 8 décembre 2020, Margaret Keenan était la première personne au monde à être vaccinée (hors phase de test). Dimanche 18 juillet, 68% des Britanniques étaient doublement vaccinés et 88% avaient reçu une dose. L’Angleterre ouvre toutefois entièrement son pays alors que la maladie est partout: 54000 cas positifs ont été enregistrés samedi 17 juillet, avec un doublement tous les neuf jours actuellement. C’est pratiquement un retour au pire niveau jamais atteint, en janvier 2021, quand il y avait 60000 cas en moyenne sur sept jours. Comme un symbole, le ministre de la Santé britannique Sajid Javid a été testé positif, bien qu’il soit vacciné. Boris Johnson, devenu cas contact, a aussitôt annoncé son isolement. Il a aussi annulé son discours. Le «freedom day» débute péniblement.
En France, le démarrage a été bien plus difficile. Les précautions initiales étaient très fortes, avec de longs questionnaires à remplir pour les patients qui acceptaient la piqûre. Six mois plus tard, la page est tournée et la campagne avance maintenant à un rythme similaire des deux côtés de la Manche, mais le retard français n’est pas comblé. Samedi 17 juillet, 44% de la population était doublement vaccinée et 55% avait reçu une seule dose.
2. LE GRAND FOSSÉ
DE LA LIBERTÉ
Le discours d’Emmanuel Macron le 12 juillet a marqué une cassure entre l’approche des deux pays. D’un côté, un passe sanitaire sera nécessaire pour entrer dans un restaurant, un bar ou un centre commercial à partir d’août. De l’autre, à partir de lundi, il n’y aura plus aucune limite en Angleterre: le nombre de places dans les restaurants n’est plus limité, aucune distanciation sociale n’est obligatoire, les cinémas peuvent être bondés, les stades de football remplis intégralement… C’est «le jour de la liberté», comme l’ont surnommé les tabloïds. Il faut «apprendre à vivre avec le virus», estime Boris Johnson. Emmanuel Macron réplique qu’il faut «rechercher sans cesse l’équilibre entre la protection et la liberté».
Sur la vaccination, l’approche est cependant moins différente qu’il n’y paraît. Comme la France, l’Angleterre a décidé d’imposer la vaccination obligatoire pour le personnel soignant. En revanche, l’idée d’une vaccination obligatoire pour tous, qu’Emmanuel Macron a dit officiellement envisager, est clairement exclue outre-Manche.
3. LE GRAND FOSSÉ
DU RISQUE
Le gouvernement britannique justifie son ouverture du pays par «l’affaiblissement» du lien entre la maladie et les hospitalisations, maintenant que la vaccination est en place. Si le vaccin AstraZeneca n’est efficace qu’à environ 60% contre la maladie avec le variant Delta, il réduit de 92% les risques d’hospitalisation. En clair, le virus se propage mais provoque moins de dégâts sanitaires.
Reste que cette approche comprend une prévision de 100 à 200 morts par jour courant août. Certes, cela n’a rien à voir avec les 1300 décès par jour que le Royaume-Uni connaissait mi-janvier, mais c’est proche d’une pandémie de grippe en plein hiver. Le risque de développer de nouveaux variants est aussi très fort.
Le «principe de précaution» français, un concept presque inconnu au Royaume-Uni, autoriserait-il cette approche? En France, le nombre de cas positifs tourne autour de 10000 par jour, cinq fois moins qu’au RoyaumeUni. C’est pourtant ce niveau qui a poussé le président français à intervenir.
4. LE GRAND FOSSÉ POLICIER La République française tolère, encadre et sanctionne. Plus de 2,8 millions d’amendes pour non-respect des diverses règles de confinement ont été infligées par la maréchaussée depuis mars 2020. Pour les contrevenants individuels, l’amende est de 135 euros (jusqu’à 15000 euros en cas de récidive). Mais le nouveau projet de loi sur le «passe sanitaire» sera assorti de la possibilité, pour les récidivistes, de se retrouver devant le tribunal et d’écoper d’une peine pouvant aller jusqu’à 6 mois de prison.
Cette vision est incompréhensible au Royaume-Uni. De mars 2020 à mai 2021, 115000 amendes ont été données en Angleterre et au Pays de Galles pour non-respect des règles du covid, 96% de moins qu’en France. Généralement, la police disperse les groupes de gens et n’émet une amende qu’en cas de résistance.
«Désormais, il faut apprendre à vivre avec le virus» BORIS JOHNSON
«Il faut rechercher sans cesse l’équilibre entre la protection et la liberté» EMMANUEL MACRON