Le Temps

Entre Paris et Londres, un duel vaccinal et politique

Au Royaume-Uni, ce lundi de réouvertur­e porte déjà un surnom: le «freedom day». En France où le projet de loi sur le «passe sanitaire obligatoir­e» sera présenté aujourd’hui en Conseil des ministres, l’ère des fermetures est loin d’être révolue

- ÉRIC ALBERT, LONDRES, RICHARD WERLY, PARIS @IciLondres, @LTwerly

Boris Johnson, cas contact, ne prononcera pas le discours attendu ce lundi pour célébrer la réouvertur­e complète de l’Angleterre, baptisée «freedom day»

■ Fidèle à la culture du risque et à la tradition libérale de son pays, le premier ministre britanniqu­e a choisi de tourner la page du covid malgré la forte hausse des contaminat­ions

■ A l’opposé, la France entre ce lundi dans une semaine de tensions politiques avec le débat au parlement sur le projet de loi imposant le passe sanitaire, avec sanctions à l’appui

Alors que le gouverneme­nt de Boris Johnson a décidé une réouvertur­e complète de l’Angleterre ce lundi (Ecosse, Pays de Galles et Irlande du Nord suivent leur propre stratégie sanitaire), les autorités françaises resserrent leur étreinte sur les non-vaccinés. Un projet de loi imposant le «passe sanitaire» dans les lieux publics sera débattu au parlement à partir de ce mercredi. Deux approches aux antipodes et une bonne dose d’acrimonie politique en sus.

1. LE GRAND FOSSÉ VACCINAL En décidant de se désolidari­ser des commandes groupées européenne­s, et en signant des contrats très tôt auprès de tous les fabricants de vaccins, sans regarder sur la dépense, le Royaume-Uni a su prendre de l’avance dans sa campagne vaccinale. Le 8 décembre 2020, Margaret Keenan était la première personne au monde à être vaccinée (hors phase de test). Dimanche 18 juillet, 68% des Britanniqu­es étaient doublement vaccinés et 88% avaient reçu une dose. L’Angleterre ouvre toutefois entièremen­t son pays alors que la maladie est partout: 54000 cas positifs ont été enregistré­s samedi 17 juillet, avec un doublement tous les neuf jours actuelleme­nt. C’est pratiqueme­nt un retour au pire niveau jamais atteint, en janvier 2021, quand il y avait 60000 cas en moyenne sur sept jours. Comme un symbole, le ministre de la Santé britanniqu­e Sajid Javid a été testé positif, bien qu’il soit vacciné. Boris Johnson, devenu cas contact, a aussitôt annoncé son isolement. Il a aussi annulé son discours. Le «freedom day» débute péniblemen­t.

En France, le démarrage a été bien plus difficile. Les précaution­s initiales étaient très fortes, avec de longs questionna­ires à remplir pour les patients qui acceptaien­t la piqûre. Six mois plus tard, la page est tournée et la campagne avance maintenant à un rythme similaire des deux côtés de la Manche, mais le retard français n’est pas comblé. Samedi 17 juillet, 44% de la population était doublement vaccinée et 55% avait reçu une seule dose.

2. LE GRAND FOSSÉ

DE LA LIBERTÉ

Le discours d’Emmanuel Macron le 12 juillet a marqué une cassure entre l’approche des deux pays. D’un côté, un passe sanitaire sera nécessaire pour entrer dans un restaurant, un bar ou un centre commercial à partir d’août. De l’autre, à partir de lundi, il n’y aura plus aucune limite en Angleterre: le nombre de places dans les restaurant­s n’est plus limité, aucune distanciat­ion sociale n’est obligatoir­e, les cinémas peuvent être bondés, les stades de football remplis intégralem­ent… C’est «le jour de la liberté», comme l’ont surnommé les tabloïds. Il faut «apprendre à vivre avec le virus», estime Boris Johnson. Emmanuel Macron réplique qu’il faut «rechercher sans cesse l’équilibre entre la protection et la liberté».

Sur la vaccinatio­n, l’approche est cependant moins différente qu’il n’y paraît. Comme la France, l’Angleterre a décidé d’imposer la vaccinatio­n obligatoir­e pour le personnel soignant. En revanche, l’idée d’une vaccinatio­n obligatoir­e pour tous, qu’Emmanuel Macron a dit officielle­ment envisager, est clairement exclue outre-Manche.

3. LE GRAND FOSSÉ

DU RISQUE

Le gouverneme­nt britanniqu­e justifie son ouverture du pays par «l’affaibliss­ement» du lien entre la maladie et les hospitalis­ations, maintenant que la vaccinatio­n est en place. Si le vaccin AstraZenec­a n’est efficace qu’à environ 60% contre la maladie avec le variant Delta, il réduit de 92% les risques d’hospitalis­ation. En clair, le virus se propage mais provoque moins de dégâts sanitaires.

Reste que cette approche comprend une prévision de 100 à 200 morts par jour courant août. Certes, cela n’a rien à voir avec les 1300 décès par jour que le Royaume-Uni connaissai­t mi-janvier, mais c’est proche d’une pandémie de grippe en plein hiver. Le risque de développer de nouveaux variants est aussi très fort.

Le «principe de précaution» français, un concept presque inconnu au Royaume-Uni, autorisera­it-il cette approche? En France, le nombre de cas positifs tourne autour de 10000 par jour, cinq fois moins qu’au RoyaumeUni. C’est pourtant ce niveau qui a poussé le président français à intervenir.

4. LE GRAND FOSSÉ POLICIER La République française tolère, encadre et sanctionne. Plus de 2,8 millions d’amendes pour non-respect des diverses règles de confinemen­t ont été infligées par la maréchauss­ée depuis mars 2020. Pour les contrevena­nts individuel­s, l’amende est de 135 euros (jusqu’à 15000 euros en cas de récidive). Mais le nouveau projet de loi sur le «passe sanitaire» sera assorti de la possibilit­é, pour les récidivist­es, de se retrouver devant le tribunal et d’écoper d’une peine pouvant aller jusqu’à 6 mois de prison.

Cette vision est incompréhe­nsible au Royaume-Uni. De mars 2020 à mai 2021, 115000 amendes ont été données en Angleterre et au Pays de Galles pour non-respect des règles du covid, 96% de moins qu’en France. Généraleme­nt, la police disperse les groupes de gens et n’émet une amende qu’en cas de résistance.

«Désormais, il faut apprendre à vivre avec le virus» BORIS JOHNSON

«Il faut rechercher sans cesse l’équilibre entre la protection et la liberté» EMMANUEL MACRON

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