Le Temps

«Nous nous concentron­s sur la recherche des vivants»

- CÉLINE ZÜND, BAD NEUENAHR-AHRWEILER @celinezund

A Bad Neuenahr-Ahrweiler, en Rhénanie-Palatinat, les recherches de personnes disparues se poursuiven­t tandis que l’aide s’organise pour nettoyer les rues et les maisons

A Bad Neuenahr-Ahrweiler, la rivière a retrouvé son lit et scintille sous le soleil. Tout autour, dans cette ville au sud de Bonn, l’Ahr a laissé sur son passage des scènes inouïes, que les habitants contemplen­t, hagards, depuis quatre jours. Carcasses de voitures renversées, adossées à la verticale aux arbres sur les rives. Vitrines explosées, pans de routes arrachés.

Au milieu d’un amoncellem­ent de branches et de débris indistinct­s, la tenancière du café Gaffel ne s’arrête pas de déambuler. «Demain, ils viennent tout ramasser, nous devons nous dépêcher de récupérer ce qu’on peut.» Difficile d’imaginer qu’il puisse subsister quoi que ce soit d’intact. Dans les rues, des chaises, des canapés, des multitudes d’objets de la vie quotidienn­e, mêlés de gravats, de boue et de carton, forment des tas brunâtres devant les maisons.

Les lettres OK, en bleu, ont été apposées sur certains immeubles, ou sur les carrosseri­es des voitures. Elles indiquent les zones déjà explorées par les pompiers. La région de l’Arhweiler, dont cette station thermale de quelque 28000 habitants est le chef-lieu, est l’une des plus touchées par les pluies diluvienne­s qui ont frappé l’Europe de l’Ouest la semaine dernière.

Depuis mercredi, le bilan général s’alourdit chaque jour: dimanche soir, il s’élevait à 190 morts, dont plus de 110 seulement dans cet arrondisse­ment de Rhénanie-Palatinat, où l’on dénombre aussi près de 700 blessés et des centaines de personnes encore disparues. La chancelièr­e Angela Merkel s’est rendue hier dans cette région sinistrée, notamment à Schuld, surnommée la «ville-martyre» en Allemagne en raison de l’ampleur des destructio­ns.

«C’est arrivé en moins d’une heure»

Quelque 500 pompiers sont mobilisés pour la région d’Ahrweiler, 150 à Bad Neuenahr. «Nous trouvons un cadavre chaque heure. Des personnes restées emprisonné­es dans les caves, ou surprises dans leur lit alors qu’elles dormaient. Dans ce cas, nous appelons la police, explique le chef des opérations de pompiers sur la place centrale de la ville. Derrière lui, des hommes et des femmes en uniforme nettoient leurs bottes sous l’eau, ou attendent un repas chaud devant un stand de nourriture, avant de repartir dans les débris. «Nous nous concentron­s avant tout sur les vivants. Il y a de nombreuses personnes âgées restées seules chez elles, parce qu’elles n’osent pas sortir. Elles ont besoin de soins et d’aide.»

Quant à ceux qui ont vu leur appartemen­t détruit par les flots, lorsqu’ils n’ont pas trouvé refuge chez des amis ou parents, ils ont été emmenés dans des écoles, des salles de gym et des hôtels dans des villes alentour. Les proches de personnes disparues ont reçu le numéro d’une centrale téléphoniq­ue. Mais la coupure de courant et d’électricit­é complique les recherches. «Nous estimons que, parmi les 1400 disparus dénombrés vendredi, un certain nombre de personnes n’ont simplement pas encore pu donner signe de vie en raison de l’absence de réseau téléphoniq­ue», relève le pompier.

Dès jeudi, au lendemain de la nuit où la rivière s’est déversée dans les rues et les maisons de Bad NeuenahrAh­rweiler, les habitants ont commencé à déblayer les rues, les caves et les étages inférieurs des maisons, inlassable­ment. Des bénévoles sont venus des alentours pour leur prêter main-forte.

Claudia, la cinquantai­ne, a mis à dispositio­n son petit institut de beauté pour récolter les dons arrivés de tout le pays. «Les gens n’ont pas de courant ni d’électricit­é. Ils ont besoin de tout pour les prochains jours: eau, chaussures, vêtements, serviettes hygiénique­s et lait en poudre pour bébé. Il n’y a presque plus de magasins ouverts, et la plupart des habitants ont vu leurs voitures emportées par les flots. C’est arrivé en moins d’une heure, sans aucun signe avant-coureur, ni signal d’alarme. Personne pour circuler dans les rues avec un mégaphone et nous dire de fuir. Bientôt, il faudra dresser un bilan et expliquer où sont les erreurs», dit-elle.

Dans les rues, des habitants ont installé des petits stands de fortune, où se rassemblen­t des individus couverts de boue pour boire une bière ou un café, le temps de souffler. Des chaînes humaines s’activent devant les maisons pour évacuer l’eau à l’aide de seaux, de bassines ou tout autre récipient à dispositio­n. La masse brune, épaisse, a tout envahi. Elle colle aux pieds, alourdit le pas, ralentit les plus déterminés des bénévoles. Lorsqu’elle sèche, elle se transforme en poussière et emplit le nez et les poumons. Ils sont nombreux à le dire à Bad Neuenahr-Ahrweiler: il faudra des années pour tout reconstrui­re.

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