Du café suspendu napolitain à une plateforme inclusive innovante
En Suisse, les personnes en précarité sont peu visibles et pourtant bien présentes, elles seraient 660 000, dont 14 000 rien qu’à Genève. On se souvient des files à Genève pour la distribution de colis alimentaires au début de la pandémie: tous leurs besoins n’ont pas disparu! Au-delà des tabous, que faire de concret, d’innovant et d’humain pour qu’ici en Suisse la vie des personnes pauvres soit plus dignes? Ma fille et moi avons imaginé une plateforme pour tenter à notre petite échelle de relever ce défi de la dignité des populations précaires.
Nous nous sommes inspirés des cafés suspendus offerts par les Napolitains pendant la Deuxième Guerre mondiale aux soldats épuisés et sans solde. Ces soldats pouvaient venir boire un café gratuit, dont le ticket était suspendu au comptoir. Remis au goût du jour, le concept est le suivant: Suspend’us, une plateforme numérique sur laquelle offrir anonymement un produit chez un commerçant, en le payant à l’avance pour une personne en précarité.
Aventure solidaire et bénévole, le projet repose sur le libre choix des personnes en précarité à consommer où elles veulent, ce qu’elles veulent. Parce que nous croyons fermement à la nécessité de renforcer leur dignité. Au début, nos premiers bénéficiaires se sont surtout tournés vers l’alimentation, mais à Nyon, notre ville pionnière et laboratoire, on voit de plus en plus de gens demander un soin dentaire, des lunettes de vue et même, au Grand-Saconnex… un bouquet pour fleurir une tombe.
La dignité par le libre choix
Les bénéficiaires ont la possibilité de s’offrir une coupe de cheveux tous les deux mois, un soin dentaire une fois par an, un panier de la ferme et un plein à l’épicerie une fois par semaine. A chacun d’y trouver son compte selon son envie, dans la limite des dons disponibles sur la plateforme et en présentant une carte Caritas ou une carte Suspend’us.
Après Nyon, nous avons convaincu la commune du
Grand-Saconnex, dans le canton de Genève, ainsi qu’Yverdonles-Bains sur Vaud. La ville de Fribourg suivra en septembre. Les villes sont en effet des partenaires incontournables. Pourquoi? Parce que ce projet d’utilité publique a besoin de visibilité et de crédibilité.
Pour la sélection des bénéficiaires, nous faisons toute confiance à Caritas Vaud et Fribourg, ainsi qu’à l’Hospice Général de Genève. D’autres associations locales se sont impliquées en distribuant nos cartes aux plus vulnérables: des sans-abri, des sans-papiers. Ici encore, l’idée est d’inclure et d’offrir l’accès à des produits et services à ceux qui en ont besoin, comme tout un chacun, sous forme de choix parmi nos offres. Il doit bien sûr s’agir de produits éthiques: pas de tabac, ni d’alcool, ni de billets de loterie! La
crédibilité du soutien est garantie, puisque nous limitons la consommation par catégorie de produits et par périodicité.
Dans notre système, les donateur·trice·s constituent une communauté humaine, anonyme et locale. Ce qu'ils et elles apprécient, c'est de choisir la catégorie de produits à laquelle est affecté leur don, ainsi que sa localisation dans le commerce de détail. Cela soutient l'économie locale, c'est la dimension circulaire du projet.
Les commerçants-partenaires sont aussi au coeur du système. En accueillant les bénéficiaires, ils s'engagent à offrir un sourire et à servir gratuitement le produit choisi par les personnes en précarité. Avec les dons qu'il reçoit, Suspend'us rembourse chaque commerçant en fin de mois, sans autre charge que la maintenance de la plateforme numérique.
Après neuf mois, le démarrage est prometteur, mais il faut désormais passer à l'échelon supérieur. Nous avons déjà plus de 200 bénéficiaires à Nyon et au Grand-Saconnex, une cinquantaine de commerçants-partenaires que vient de rejoindre, à Genève, le secteur alimentaire de Manor, ainsi que des dons qui approchent les 10 000 francs. C'est bien, mais ce n'est que le début. Nous espérons maintenant pérenniser notre aventure pour un monde où solidarité et inclusion sont concrètes: offrir 660 000 sourires grâce aux donateurs·trice·s, aux institutions publiques et aux entreprises de Suisse romande.
NB: Nous participerons à la soirée de levée de fonds organisée par le Fonds de dotation «Genève pour le bien commun» au Théâtre du Léman le 15 septembre.