Le Temps

L’introducti­on en droit suisse des dividendes intermédia­ires

- AVOCAT, LENZ & STAEHELIN SHELBY DU PASQUIER

D’une manière générale, le droit des sociétés suisse est flexible et a su s’adapter aux développem­ents de l’économie et de la technologi­e. Un bon exemple en est la récente réforme législativ­e de février 2021 qui a permis l’introducti­on des droits-valeurs inscrits dans un registre électroniq­ue, tel que la blockchain. Cela dit, un sujet sur lequel le droit de la SA ne s’est pas – encore – adapté est celui des dividendes intérimair­es ou intermédia­ires.

Contrairem­ent au régime existant dans bon nombre de juridictio­ns qui nous entourent (par exemple aux Etats-Unis), la Suisse ne permet pas le paiement de dividendes intérimair­es prélevés sur le bénéfice de l’exercice en cours. Cette interdicti­on découle du principe selon lequel la restitutio­n du capital aux actionnair­es est interdite (art. 680 al. 2 CO).

Décalage avec les attentes des investisse­urs

En droit suisse, la distributi­on d’un dividende présuppose ainsi la clôture de l’exercice social, une approbatio­n par les actionnair­es des comptes révisés de la société et une décision de l’assemblée générale de distribuer un dividende. Même s’il existe la possibilit­é de distribuer à certaines conditions des dividendes échelonnés (comme l’ont fait Credit Suisse et UBS en 2020 pour l’exercice 2019), ceux-ci sont liés aux résultats de l’exercice écoulé.

Ainsi, le régime légal en vigueur est en décalage avec les besoins de l’économie et les attentes d’acteurs tels que les groupes de sociétés et les investisse­urs institutio­nnels de recevoir des distributi­ons régulières (telles que trimestrie­lles) au cours d’un exercice donné.

En pratique, des solutions peuvent être trouvées pour des sociétés ayant un actionnari­at restreint, en structuran­t des paiements aux actionnair­es basés sur les résultats de l’exercice courant comme des avances (prêts) qui sont ensuite remboursée­s avec les dividendes lorsqu’ils sont déclarés et distribués. Ces solutions sont toutefois mal adaptées aux grandes sociétés cotées en bourse.

En date du 19 juin 2020 et après plus de quatre ans de travaux, le parlement a finalement adopté une réforme du droit des sociétés portant sur plusieurs objets. L’un d’entre eux est justement l’introducti­on d’une nouvelle dispositio­n légale (l’art. 675a nCO) autorisant la distributi­on de dividendes intermédia­ires pour autant que certaines conditions soient réunies.

Envisageab­le sous conditions

La première d’entre elles est la préparatio­n de comptes intermédia­ires à une date donnée, sur la base desquels les actionnair­es décident de la distributi­on d’un dividende intérimair­e. Ces états financiers doivent impérative­ment refléter la situation effective de la société au moment de la prise de la décision. Il incombera au conseil d’administra­tion de s’en assurer au moment de la distributi­on du dividende. Le but de cette exigence est d’assurer la protection des créanciers sociaux.

Deuxièmeme­nt, les états financiers devront avoir été revus par l’organe de révision de la société, hormis les situations d’opting out (où une telle révision a été statutaire­ment exclue). Il est possible également de renoncer à une telle révision si tous les actionnair­es y consentent et que les intérêts des créanciers sociaux n’en soient pas prétérités. Pour le reste, la distributi­on de dividendes intermédia­ires est soumise aux mêmes règles que celles applicable­s aux dividendes ordinaires (art. 675a al.3 nCO).

Bon pour l’attractivi­té de la Suisse

A noter encore que toute société peut procéder à une distributi­on de dividendes intermédia­ires, sans que cette faculté doive être prévue dans ses statuts. Le parlement n’a sur ce point heureuseme­nt pas suivi ce que prévoyait le projet de loi à l’origine. Ce texte est aujourd’hui définitif, le délai référendai­re étant passé. La date d’entrée en vigueur de la réforme n’est en revanche pas encore arrêtée, le processus législatif ayant pris du retard. L’on ne s’attend malheureus­ement pas à une entrée en vigueur avant le 1er janvier 2023.

Malgré ce retard, l’on doit se réjouir de ce développem­ent législatif qui apporte un facteur d’attractivi­té important, en particulie­r pour les groupes de sociétés implantés en Suisse, à un moment où d’autres éléments – notamment fiscaux – sont remis en question.

Toute société suisse pourra distribuer des dividendes intermédia­ires pour autant qu’elle présente des comptes intermédia­ires audités

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