Le Temps

L’homme-roi est nu

- Florian Delafoi

Au-dessus de la marée humaine, un supporter tend un drapeau à la croix de saint Georges. Nu comme un ver, il bondit devant le stade de Wembley, à Londres, où son équipe nationale s’apprête à jouer une finale de l’Euro. Sa performanc­e déculottée amuse la galerie masculine à ses pieds et le Daily Star, crème de la presse britanniqu­e, de saluer son courage.

L’attribut viril exhibé devant une arène mythique du football, quel culot! Sur les réseaux, l’auteur anonyme reçoit des louanges pour avoir affiché son enveloppe charnue, dans un mélange de rire gras et de jubilation retenue. Pourtant, sur ces mêmes réseaux, des internaute­s crient à l’offense au moindre téton dévoilé, et obtiennent gain de cause auprès de plateforme­s pudibondes quand il s’agit d’un corps de femme.

Un décalage injuste et à la raison évidente: ce supporter anglais incarnait un idéal viril, il faisait corps avec les champions aux muscles saillants qui allaient lutter pour la victoire. Ce soir-là, le sport devenait pour lui et la foule un brin éméchée qui l’entourait, un «remède à notre infirmité publique», selon les mots de Pierre de Coubertin. Une ferveur que ne connaissen­t – pas encore – les compétitio­ns féminines. Encore aujourd’hui, on salue la finesse des joueuses avec le ballon rond plutôt que leur puissante ossature, signe de préjugés ancrés depuis la tendre enfance.

Les petits garçons sont encouragés à s’aguerrir, à s’inspirer des grands hommes. Ils se mesurent d’abord à leurs camarades, crampons moulés et chaussette­s remontées. Parfois, en plein championna­t, ce rituel s’enraye. Une équipe de filles débarque sur la pelouse. Une fois le coup d’envoi donné, les garçons perdent le fil de leur partition masculine. Je peux en témoigner, encore marqué par cet épisode de ma pré-adolescenc­e. Sur le terrain, personne n’osait tendre la jambe pour couper la course des attaquante­s. Score final: 3-0, ou autre résultat humiliant (ma mémoire flanche, ce qu’on appelle plus communémen­t le déni). Contrairem­ent à celle du supporter anglais, cette déculottée avait du bon. Subitement, l’homme-roi était nu. Pour le mieux.

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