Vents contraires sur la Blécherette
Dans la tourmente depuis quelques semaines, l’aéroport lausannois doit faire face aux nombreuses critiques de ses riverains. Peu connu du grand public, ce temple de l’aviation vaudoise a ouvert ses portes pour parler des polémiques, de ses activités ainsi que de son développement
Malgré un soleil clément, peu de pilotes ont pris le risque de s’aventurer dans les airs en ce jeudi d’octobre. Pour cause, le vent frappe fort, peut-être trop pour profiter pleinement des paysages vaudois. Quand le vent vient des Hauts de Lausanne, les avions décollent en direction du nord, traversant l’autoroute et les terrains de la Tuilière avant de mettre le cap sur la destination souhaitée.
Ce jour-là, le calme règne malgré la tempête, mais une certaine tension se fait sentir quand on entend le personnel de l’aéroport discuter. «Regarde, voici la bombe volante», averti l’un des cadres de la Blécherette en faisant référence aux critiques que l’on peut entendre sur les avions de catégorie PC-12. «C’est sûrement l’un de ces vieux garçons qui est de sortie», sourit son interlocuteur.
Il faut dire que, depuis quelques semaines, les riverains, représentés par leur Association de défense des riverains de la Blécherette (ARDB) et d’autres opposants, ne mâchent pas leurs mots au sujet de l’aéroport. Au centre des divergences, on retrouve les nuisances sonores, les questions environnementales et un dialogue rompu.
Mais derrière ce fond de polémiques se cache un lieu historique de la ville. L’aérodrome qui borde les terrains de football de la Tuilière a été utilisé en 1910 pour la toute première fois par l’aviateur Henri Speckner, pionnier du milieu en terre genevoise. Ce premier vol symbolique a inauguré un site qui deviendra, l’année suivante, l’un des trois aéroports les plus importants du pays.
Un cachet à l’odeur parisienne
Pour faire face à la demande toujours plus importante en vols, la Blécherette devra construire par la suite deux entrepôts pour accueillir du matériel mais surtout des avions. En 1922, le second hangar prendra une dimension culturelle avec la construction d’une très grande porte basculante imaginée et réalisée par un certain Gustave Eiffel.
Le développement du site lausannois n’a jamais cessé, même s’il n’a jamais pu s’étendre dans des proportions telles que Genève ou Zurich, à cause de sa position rapprochée du centre-ville. L’un des changements majeurs du visage de la Blécherette tombe au début des années 2000 avec le remplacement de la piste en herbe par un revêtement en dur qui a permis, au fil du temps, de favoriser les vols commerciaux et de continuer à promouvoir la formation, dans des conditions appréciables.
Cet aérodrome, relégué aujourd’hui en site régional, accueille aussi bien d’autres richesses. On y retrouve notamment l’une des plus grandes collections d’avions militaires, aujourd’hui encore pilotés par quelques passionnés qui sont au chevet de leurs bolides toute l’année durant.
Des passionnés dont l’amour reste intact
Sur ce site historique, on rencontre aussi de véritables amoureux de l’aviation. C’est le cas notamment de Jean-François Despland qui s’acharne chaque année pendant plus de 150 heures pour que son «Morane-Saulnier» de 1937 ne prenne pas la moindre ride.
«Après ma famille, c’est mon Morane. Je passe tellement de temps à le bichonner et à le retoucher pour qu’il conserve toute son âme», sourit le pilote qui apprécie l’ambiance atypique de cet espace. «C’est un endroit communautaire où se retrouvent des passionnés qui échangent et parlent aviation.»
Jean-François Despland a d’ailleurs de la peine à accepter les remarques qui progressent ces derniers temps, insinuant que seule une toute petite partie des Lausannois peuvent profiter de ce lieu bruyant et polluant. «Cet aéroport appartient à toute la population! Je peux vous dire qu’il n’y a pas que de «vieux garçons» comme peuvent le sous-entendre certains opposants, mais qu’on y retrouve toutes les générations. Venez faire un tour le mercredi au restaurant, pleins d’enfants sont émerveillés.»
Face aux divergences qui opposent pilotes et riverains, le conseiller communal Valéry Beaud, des Verts, qui a déposé une interpellation, assure qu’il comprend la fascination mais qu’il ne la soutient pas pour autant. «Chacun a des hobbys mais ce qu’il faut comprendre c’est que celui-ci n’est plus en phase avec la dimension de la ville et les questions environnementales. Personnellement, mes passions ne dérangent pas 10000 habitants», regrette-t-il en faisant référence aux nuisances sonores.
Des vols de loisirs… mais pas que
Outre cette aviation de plaisir, la Blécherette a d’autres utilités toutes différentes les unes des autres. On y retrouve par exemple la Rega qui y possède l’un de ses points d’attache. «La plupart des pilotes sont formés chez nous et c’est aussi une fierté», se réjouit le membre du Conseil d’administration Patrick de Preux.
En effet, de nombreuses écoles de formation jouent un rôle important dans l’enseignement de ce secteur d’activité. «La majorité des pilotes qui vont venir vous sauver en montagne ou qui vont vous faire voyager à travers le monde sont formés ici. Ça fait partie des tâches de cet aéroport dont la mission est aussi de désengorger celui de Genève», rappelle celui qui préside aussi le Lausanne Hockey Club.
Finalement, ce site historique permet également d’effectuer certains vols commerciaux grâce au modele Pilatus PC-12 qui peut transporter jusqu’à neuf personnes.
Les PC-12, ces avions controversés
C’est justement cet avion qui est actuellement source de conflit entre la Blécherette et les riverains. Ces derniers lui reprochent d’être trop bruyant, de servir dans certains pays aux armées et de ne pas avoir sa place ici au vu de la proximité avec Genève. Ces bolides sont en grande partie gérés par la compagnie Fly7 qui possède six avions de catégorie PC-12 basés à Lausanne.
Bien que conçu prioritairement pour des vols d’affaires, cet avion fabriqué en Suisse est aussi exploité dans certaines régions par les forces militaires, comme l’Afrique du Sud ou les EtatsUnis. Un aspect du PC-12 qui ne plaît évidemment pas aux riverains ni à la ville, qui devrait évoquer le sujet prochainement, lors de sa réponse à l’interpellation de Valéry Beaud.
Contrairement aux opposants, Patrick de Preux et le reste du conseil d’administration ont, quant à eux, été séduits par la fonctionnalité de cet appareil et sa complémentarité avec l’envergure de la Blécherette. «La taille de ces avions correspond parfaitement à la demande en vols commerciaux pour notre région. Ils peuvent se poser dans des contrées quasiment inaccessibles et ça, il ne faut pas le négliger», assure Patrick de Preux, persuadé de l’attrait économique que peut revêtir un aéroport comme celui-ci dans le canton.
Parmi les utilisateurs réguliers de la Blécherette, Lionel Ducret, membre du conseil d’administration chargé des affaires juridiques, cite des sociétés comme Swissquote, Bobst «ou d’autres entreprises de ce genre qui doivent parfois agir dans la journée pour réparer des machines à l’étranger». Les deux hommes ajoutent encore que plusieurs politiciens utilisent aussi cet aéroport de «manière occasionnelle», sans citer de noms.
Des simulateurs créent l’attraction
Poussée par le succès des vols commerciaux, la direction de l’aéroport a décidé d’accepter la proposition de Fly7 de faire venir deux simulateurs de vol, opérationnels depuis la semaine dernière, pour apprendre à maîtriser les PC-12. Ces deux outils de formation grandeur nature sont les premiers en Europe et compenseront les quelque 500 heures d’apprentissage nécessaires à l’obtention du permis de pilote.
Extrêmement réalistes – un cockpit à taille humaine et un écran 180 degrés font partie intégrante de l’objet – ces simulateurs sont déjà très attendus. Il était jusqu’alors uniquement possible de profiter de pareilles installations aux Etats-Unis avant leur arrivée à Lausanne. «Nous attendons près de 600 pilotes par an qui vont pouvoir suivre des formations 24h/24. Ce modèle est tellement réaliste qu’il remplace même les heures de vol en l’air», se réjouit Stéphane Bailly, responsable du projet pour Fly7.
Le problème, c’est que derrière ces simulateurs PC-12 se cache un terrain plutôt glissant. La direction de l’aéroport n’a pas averti la ville avant de mettre en place ce projet car elle n’y voyait rien de mal, alors que pour les opposants, on perçoit ça comme une pratique vicieuse qui ne fait qu’augmenter les divergences et les craintes. «Je n’ai rien en soit contre la formation des pilotes. Ce qui me dérange, c’est qu’évidemment, des vols vont se combiner à tout ça et qu’une nouvelle fois, les habitants vont en souffrir», regrette Valéry Beaud qui craint une augmentation des mouvements plafonnés par la Confédération à 45000. La Blécherette en comptabilise en moyenne 38000 par an.
Des projets pour l’avenir
Malgré les critiques, Patrick de Preux espère bien que le contrat qui les lie à la ville jusqu’en 2036 sera renouvelé au-delà. «Je ne vois pas de raisons valables pour demander notre fermeture, même dans quinze ans. Nous allons continuer nos efforts pour l’environnement même si nous sommes conscients que ça pollue. Nous espérons pouvoir utiliser des essences synthétiques, composées d’eau et de CO2 déjà existant, dans les années à venir.»
D’autre part, Lionel Ducret, le jeune visage de cet aéroport, espère aussi pouvoir consolider un projet qui lui tient à coeur. «Nous aimerions faire un musée pour accueillir le public et continuer de faire rêver les enfants. Chaque année, nous organisons des journées pour les jeunes souffrant de handicap et quand on les voit descendre de l’avion avec des étoiles plein les yeux, on se dit qu’il n’y a pas de mal à rêver.»
D’ici là, le conflit qui les lie aux riverains ne devrait pas s’estomper, avec une réponse aux interpellations des Verts à plusieurs échelons politiques qui devrait tomber avant la fin de l’année.
«Chacun a des hobbys mais ce qu’il faut comprendre c’est que celui-ci n’est plus en phase avec la dimension de la ville et les questions environnementales»
VALÉRY BEAUD, CONSEILLER COMMUNAL VERT