Un an après, l’hommage amer à Samuel Paty
L’enseignant décapité le 16 octobre 2020 était devenu une cible des islamistes. Un an après, l’hommage national rendu dans les écoles françaises cache mal la colère devant la chaîne de «lâchetés» institutionnelles et le manque de protection dont il fut victime
tSes larmes sont celles de la colère. Pour Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante toulousaine souvent invitée sur les plateaux de télévision français, l’hommage national rendu vendredi dans les écoles françaises à l’enseignant Samuel Paty ne peut pas refermer la parenthèse de la douleur causée par sa décapitation. «La liste est longue de ceux qui ne l’avaient pas écouté et qui avaient renoncé à le protéger. Toute la chaîne de l’Education nationale, et au-delà l’Etat français puisqu’une enquête policière avait eu lieu, est concernée», a-telle asséné le jeudi 24 octobre sur La Chaîne parlementaire (LCP).
Des mensonges relayés sur les réseaux sociaux
Le 16 octobre 2020, ce professeur d’histoire-géographie dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines, région parisienne) est tué, puis décapité par un jeune immigré tchétchène de 18 ans, Abdoullakh Anzorov. L’acte isolé d’un jeune psychologiquement troublé et radicalisé? Non. Dans «J’ai exécuté un chien de l’enfer» (Ed. Cherche midi), son enquête publiée ces jours, l’écrivain et ancien professeur David di Nota affirme que l’exécution de cet enseignant, ciblé par les islamistes pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, est le résultat «d’un engrenage infernal, d’un véritable cauchemar basé sur de fausses accusations». On connaît le contexte: le procès des complices des auteurs des attentats de janvier 2015 contre l’hebdomadaire satirique puis l’Hypercacher avait alors lieu au Palais de justice de Paris. Il s’était ouvert le 2 septembre, et une autre attaque, devant les anciens locaux de Charlie, avait été perpétrée le 25 septembre. Quelques jours après la tragédie des Yvelines, la ville de Nice est également touchée avec le meurtre, par un terroriste islamiste, de trois personnes dans la basilique Notre-Dame. Pourquoi Abdoullakh Anzorov, de nationalité russe, s’en prend-il à Samuel Paty, qu’il n’avait jamais fréquenté? «Les islamistes ont relayé les mensonges sur l’enseignant sur les réseaux sociaux, poursuit, dans Le Figaro, David di Nota. Une chasse a mené le tueur au professeur de collège.» L’arrière-plan de l’assassinat de Samuel Paty est celui que dénonce Fatiha Agag-Boudjahlat: seul face à ses élèves, dont plusieurs issus de familles musulmanes, mais résolu à empoigner le douloureux sujet de la laïcité et de la liberté d’expression, l’enseignant de Conflans-Sainte-Honorine s’est retrouvé broyé par la machine islamiste à laquelle les autorités françaises n’ont pas su ou voulu résister.
Une minute de silence
L’hommage national à Samuel Paty dans tous les établissements scolaires de France n’était pas obligatoire ce vendredi. Le Ministère de l’éducation nationale a préféré inviter les écoles et les équipes enseignantes à «organiser une minute de silence en sa mémoire» ou «à consacrer une heure de cours à un temps d’hommage et d’échanges, dont le contenu sera laissé au choix des professeurs». Un square Samuel-Paty sera aussi inauguré ce week-end à Paris, face à la Sorbonne, temple de l’enseignement universitaire français. Qu’en déduire? «La réalité est que cet enseignant assassiné a été aussi victime d’une chaîne de lâcheté, juge, anonyme, le proviseur d’un lycée parisien réputé. Le problème est qu’il avait décidé de montrer à ses élèves certaines des caricatures les plus offensantes, avec Mahomet dessiné les fesses nues. Pas mal de personnes y ont vu une provocation inutile.» Le rapport d’un référent «laïcité» de l’Education nationale épousait en effet cette thèse, stipulant que l’enseignant avait admis avoir fait une erreur. L’isolement de Samuel Paty s’est retrouvé accru. L’enseignant, dénoncé et visé par une plainte déposée par le père islamiste d’une élève qui a menti sur sa présence aux cours concernés était en partie présenté comme fautif.
Deux hommes ont profité de ce concert de lâchetés institutionnelles, même s’ils ont depuis été rattrapés par la justice française.
Le père de l’élève menteuse – dont la plainte mensongère, déposée quelques jours avant le meurtre, avait quand même fait l’objet d’une investigation policière – et le prédicateur Abdelhakim Sefrioui, faux imam fiché S pour son activisme islamiste radical, connu des services de police. Le premier a été mis en examen et incarcéré, aux côtés de quatre autres élèves ayant permis à l’assassin de localiser l’enseignant moyennant finances. Le second a été frappé d’un arrêté d’expulsion du territoire. Mais un an après, la réalité est sans concessions: au lieu d’être protégé comme il aurait dû l’être, l’enseignant assassiné s’est retrouvé exposé à la vindicte d’activistes islamistes qui, à l’époque, agissaient au vu et au su des autorités.
Un an après, les larmes de la France de Samuel Paty sont les larmes d’une République qui n’a pas su, à l’époque, reconnaître celui qui se battait vraiment pour elle.
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