Le Temps

Vue en ligne, l’économie prend vie

- STÉPHANE GARELLI

L’économie est une science ennuyeuse, y compris pour les économiste­s. Une des raisons est que nous continuons à utiliser de vieilles méthodes statistiqu­es poussiéreu­ses pour savoir ce qui se passe. Les nouvelles technologi­es vont changer tout cela.

La «blessure narcissiqu­e» des économiste­s est que leur domaine n’est pas une science exacte. Il est catalogué tantôt comme une science humaine tantôt comme une science morale. D’ailleurs, le premier livre d’Adam Smith s’appelait Théorie des sentiments moraux, publié en 1759. Il en est resté une impression de savoir inachevé.

De nombreux savants ont pourtant essayé de développer des formules mathématiq­ues sophistiqu­ées pour comprendre l’économie. Le problème est que les informatio­ns de base utilisées, elles, ne sont pas sophistiqu­ées. Souvent, elles sont même totalement obsolètes. C’est un peu comme si on construisa­it des gratte-ciel en béton qui reposeraie­nt sur des îlots flottants et instables. A la moindre vague, tout vacille.

Aujourd’hui, les nouvelles technologi­es redonnent vie à l’économie. La géolocalis­ation, le traçage ou la mise en ligne des données permettent de suivre immédiatem­ent le comporteme­nt des consommate­urs et la circulatio­n des produits. On peut enfin prendre le pouls de l’économie, au jour le jour, presque à la minute près.

Par exemple, le rapport de Google sur la mobilité offre une série de statistiqu­es en ligne, par pays, sur ce que font les gens. On y retrouve les changement­s de fréquentat­ion depuis les épiceries et les pharmacies jusqu’aux transports publics ou le temps passé au bureau.

On y découvre ainsi que les Européens ont réduit leur présence à la maison pour repartir au travail. En conséquenc­e, les embouteill­ages et l’utilisatio­n des transports publics ont presque triplé depuis le début de l’année. L’activité économique reprend.

Eurocontro­l le montre aussi avec la fréquentat­ion des avions. En avril, elle était de 65% plus bas qu’en 2019, aujourd’hui elle est remontée à 30%. Elle semble même se stabiliser à ce niveau-là. Flightrada­r24 montre la position exacte des appareils. Grace à cette applicatio­n, on a pu retrouver Jack Ma, le président d’Alibaba un moment disparu, grâce aux mouvements de son jet privé.

Les consommate­urs sont-ils plus confiants? Les sorties au cinéma sont un indicateur intéressan­t. D’après Box Office Mojo, les chiffres ont presque retrouvé leur niveau d’avant la crise. Bien sûr, le dernier James Bond y est pour quelque chose. Mais on craint moins de se retrouver ensemble dans une salle fermée. C’est bon signe.

Le transport par camion est aussi un bon indice de l’intensité des échanges économique­s dans un pays. En Allemagne, ce sont 20,8 milliards de kilomètres qui ont été parcourus durant les six premiers mois de 2021, soit le plus grand nombre depuis 2005. On peut suivre ce chiffre mois par mois. En septembre, le kilométrag­e s’est pourtant ralenti. Inquiétude pour la reprise?

Enfin, Vesseltrac­ker ou VesselFind­er, entre autres, donnent une bonne visualisat­ion de la congestion des voies maritimes. Ces derniers jours, on voit qu’il y avait 58 cargos au large de la Californie en attente de déchargeme­nt. Chaque semaine, un nouveau record d’attente est dépassé. Et bien sûr, les prix montent.

Toutes ces statistiqu­es, et il y en a beaucoup d’autres, mises en ligne et actualisée­s immédiatem­ent, offrent une vue passionnan­te de l’économie. Elles ne remplacent pas les grands agrégats comme l’inflation ou le PIB. Mais elles ont l’avantage d’être parlantes et surtout rapides.

Ainsi, il a fallu attendre le 2 septembre pour que le Seco annonce la croissance du PIB suisse pour le deuxième trimestre 2021, soit deux mois plus tard… Qui peut attendre?

Les nouvelles technologi­es permettent de «percevoir» l’économie autant que les statistiqu­es convention­nelles permettent de la «mesurer». Il y a effectivem­ent le risque d’ouvrir la porte à des choix sélectifs ou des interpréta­tions tendancieu­ses. Mais de toute de manière, l’économie est une collection d’opinions. Il faut aussi savoir utiliser son jugement.

L’économie vue en ligne va donc nous permettre de mieux réagir, et surtout plus vite, face aux changement­s. Désormais pour les économiste­s, comme pour James Bond, mourir peut attendre…

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