Grégory Cottard, à bride débattue
En se débarrassant de la plupart des enrênements dont ses confrères usent et parfois abusent pour soumettre leurs montures, le cavalier français prône une équitation plus naturelle. Il se défend pour autant de donner des leçons
On parle beaucoup dans le petit monde du saut d’obstacles de Grégory Cottard. Le cavalier français (43 ans) forme avec sa jument grise Bibici l’un des plus beaux couples du moment, au point d’avoir rejoint l’équipe de France aux Championnats d’Europe en septembre à Riesenbeck, puis à la finale de la Coupe des nations, début octobre à Barcelone. C’est là que nous l’avons rencontré, quelques jours après un article dans L’Equipe qui a fait grincer quelques dents.
Grégory Cottard y expliquait sa démarche, entamée il y a deux ans mais approfondie durant le premier confinement, d’une équitation plus douce, plus naturelle, en connexion avec l’animal. Il racontait s’être débarrassé de la plupart de l’équipement très sophistiqué dont le milieu use et parfois abuse pour «tenir» le cheval et le soumettre à une volonté toujours plus impérieuse de performance. «On fait comme les préparateurs dans les sports mécaniques qui ajoutent une chose puis une autre pour que leur véhicule soit le plus performant possible», imageait ce passionné de moto.
Le «cas Cottard» a alimenté les conversations en marge de la finale de la Coupe des nations, dans l’alignée de camions rangés sur le terrain de polo ou au club-house du Real Club de polo de Barcelone. S’il est indéniable qu’une partie du lexique de l’équitation – mors, rênes, éperon, cravache – suggère plus la contrainte que l’harmonieuse complicité, le milieu n’a guère apprécié les propos rapportés, et parfois exagérés. Certains rappelaient que la démarche n’est pas isolée (les Suédois notamment travaillent sur le déferrage des chevaux lors de certaines épreuves); beaucoup se défendaient de la critique, non formulée, de maltraitance; tous niaient au nouveau venu la légitimité de leur donner des leçons.
D’un naturel réservé, presque un peu timide, et avouant ne pas assez bien parler anglais pour aller vers les autres, Grégory Cottard est pourtant le contraire d’un prétentieux ou d’une grande gueule. «Je reste un peu dans mon coin, c’est peut-être ce qui a surpris…», explique-t-il devant le box de Bibici, où il nous a fait entrer pour montrer et expliquer encore ce que lui-même a découvert et qu’il a manifestement envie de partager. Plus que la peur de donner une fausse impression, on sent qu’il ne voudrait pas que l’on passe à côté de son message.
«Quelques phrases ont été sorties de leur contexte ou mal comprises… Je ne donne surtout pas de leçons, c’est une recherche personnelle, insiste-t-il. L’article me fait dire que «j’ai dix ans d’avance sur les autres», mais en fait je parle du système FEI. Il y a cinq ans, on avait droit à des guêtres plus fortes, à plein de choses qui sont maintenant interdites au nom du bien-être du cheval, et je pense que dans cinq ans, nous aurons droit à moins qu’aujourd’hui. C’est dans le sens de cette évolution que j’ai envie d’aller. Mais j’ai confié des chevaux à de très grands cavaliers, je les regarde tous les week-ends avec beaucoup d’admiration.»
«J’ai décidé de tout simplifier»
La «démarche personnelle» de Grégory Cottard, qui avoue avoir longtemps «fait comme tout le monde» mais toujours avec un sentiment diffus de malaise, est née d’une prise de conscience. «A un moment, j’avais trois brides différentes pour trois chevaux différents, avec à chaque fois des réglages différents, des serrages de gourmette différents. J’utilisais différents mors, plus ou moins durs, et parfois un noseband [pour maintenir la bouche fermée] dont j’évaluais à chaque fois l’utilité ou non. Ça devenait d’une complexité folle! Alors, j’ai décidé de tout simplifier.»
De tout enlever. Ou du moins le plus possible. Sur le devant du box de Bibici pend un filet (un harnachement simple qui ne comprend qu’un seul mors et qu’une seule paire de rênes) qui a l’air presque fragile en comparaison de ce que l’on voit habituellement. «Je monte avec un filet, une paire de guêtres classique et la selle. Tous mes chevaux ont le même mors, en trois parties, avec une muserole toute simple», explique Grégory Cottard. Cette quête d’une pratique plus épurée n’a de facile que l’apparence, mais il préfère le formuler dans l’autre sens: «J’ai tout compliqué dans ma recherche mais j’ai tout simplifié dans mon équitation.»
Dans sa «recherche», il lui a d’abord fallu travailler avec un éthologue «pour comprendre le fonctionnement psychologique du cheval et apprendre comment il apprenait. J’ai ainsi compris pourquoi je «dégradais» mes chevaux avec des filets simples – ce qui me poussait à utiliser des embouchures plus fortes après.»
Installé aux écuries de Wy à Drocourt, en région parisienne, Grégory Cottard amène désormais tous ses chevaux à la piste avec cette méthode. «C’est parfois un peu difficile mais on trouve des solutions, admet-il. Au début, quand on entre à la piste, on se demande si l’on aura assez de contrôle, si on va bien tourner. Sur le plat, j’ai vraiment de bonnes connexions avec eux. Plus on monte dans les hauteurs, plus on va chercher de l’énergie chez le cheval et plus on rencontre des problèmes de contrôle. C’est à ce niveau qu’il y a encore beaucoup d’éléments que je perds, et c’est là-dessus que je travaille maintenant.»
«Nous n’avons pas été éduqués comme ça»
Le travail se fait autant sur le cheval que sur le cavalier, qu’il faut «reprogrammer». «Nous n’avons pas été éduqués comme ça, c’est une approche complètement différente», reconnaît le champion de France 2013, qui a ainsi redécouvert le rôle fondamental de la prise en main du cheval. «On fait passer tellement d’informations par la main, c’est primordial! Si l’on est un peu dur – on appelle ça «une manchette» dans le jargon –, le cheval ne réagit pas comme il faut. Il faut donc être très précis. Je m’entraîne quotidiennement à améliorer la sensibilité de la main.»
Une tâche de longue haleine mais exaltante. «Plus je découvre de choses et plus j’ai envie de creuser davantage. Cela décuple le plaisir de monter, parce qu’il y a plein de modes différents que l’on peut développer. Pour le moment, j’ai fait toute une saison crescendo, ça a été plus vite que prévu mais je suis encore loin d’être au point. Je commence seulement à me sentir bien.»
Cela semble également convenir à Bibici, que le milieu équestre (re)découvre depuis que Grégory Cottard a su trouver une connexion avec sa «reine fainéante».
«Je pense qu’il me faudra encore deux ans de travail pour être tout à fait à l’aise, conclut le cavalier. Mais j’ai envie, ça me tient à coeur et j’ai vraiment un bon sentiment vis-à-vis de cette approche qui, je le répète, est vraiment une quête personnelle.»
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«Il y a cinq ans, on avait droit à des guêtres plus fortes, à plein de choses qui sont maintenant interdites au nom du bien-être du cheval» GRÉGORY COTTARD
«Je pense qu’il me faudra encore deux ans de travail pour être tout à fait à l’aise»