Monter à Paris pour descendre aux enfers
Le voilà qui quitte sa province, bien décidé à empoigner la vie, certain de conquérir Paris. Jeune poète en quête de reconnaissance, Lucien de Rubempré débarque dans la capitale en compagnie de sa protectrice et amante Louise de Bargeton, une bourgeoise cherchant elle aussi à échapper à l'étroitesse d'Angoulême. Mais très vite, la cousine de cette dernière, la puissante marquise d'Espard, va lui faire comprendre qu'elle aurait tout intérêt à se débarrasser de l'encombrant jeune homme, qui n'a pas de manières. Il se voyait déjà en haut de l'affiche mais, à cause d'un geste malheureux lors de sa première soirée à l'opéra, le voici banni des salons mondains.
A la suite de sa rencontre avec Etienne Lousteau, qui a, lui aussi, dû renoncer à ses aspirations littéraires, le voici engagé comme rédacteur au sein d'un petit journal où la déontologie est une notion inconnue. Tout y est à vendre, notamment les critiques des pièces de boulevard. Un soir, après une première triomphale – car les applaudissements, eux aussi, se monnaient –, Lucien rencontre la belle Coralie, une comédienne peu farouche. Originellement publié en trois parties,
Illusions perdues est probablement le roman le plus imposant de La Comédie
humaine, ce vaste ensemble de textes de natures diverses que Balzac a écrits entre 1829 et 1850. L'écrivain y observe la déliquescence d'une société obsédée par la réussite, la notoriété et l'argent. Il y avait là, forcément, matière à un film certes d'époque, mais évoquant frontalement les turpitudes du monde contemporain. C'est d'ailleurs là qu'est la grande réussite de l'adaptation qu'en signe Xavier Giannoli. Ce qu'il montre d'une presse sans scrupules, de personnages amoraux prompts à retourner leur veste et de jeunes ambitieux prêts à toutes les compromissions pour se faire un nom a quelque chose de vertigineux.
Lors d'une leçon critique autour de la table d'un éditeur, Lucien apprendra à dire tout et son contraire d'un livre fraîchement paru. Tant et si bien qu'au final, il ne saura plus ce qu'il pense réellement. Une fois ses illusions perdues, parviendra-t-il à garder une certaine forme d'intégrité? Porté par un excellent casting au coeur duquel brille Benjamin Voisin, un acteur charnel et sauvage déjà repéré l'an dernier chez François Ozon (Eté 85), le long métrage de Giannoli impressionne par la qualité de sa reconstitution et la puissance de sa mise en scène, comme un incessant ballet des corps et des idées. Pour le réalisateur, le récit résonne comme un cri du coeur sur la nécessité de protéger, au sein d'un monde dévoyé, ce qu'il reste de beau et d'authentique.
■