IMANY, LES CORDES AU COEUR
Une voix et huit violoncelles: dans son nouvel album, la chanteuse française s’entoure de cordes pour revisiter Ed Sheeran ou Madonna en mode acoustique
◗ Dans tout parcours d’artiste, il y a ces collaborations jalons. Pour Imany, on pense à celle, improbable, avec les DJ russes Filatov & Karas: en 2015, ils relevaient à la sauce house son titre Don’t Be So
Shy, propulsant la chanteuse franco-comorienne en tête des charts. Une seconde fera certainement date: sa rencontre avec un acolyte aux courbes graciles, aux ouïes fines et aux cordes sensibles, à savoir le violoncelle.
Ou plutôt huit violoncelles, qui lui donnent la réplique sur son troisième album, Voodoo Cello. On connaissait Imany pour sa voix grave et terreuse, découverte sur le tard après une carrière de mannequin à New York. Son univers mélancolique et expressif, entre soul, pop et folk, bâti en autodidacte. Les archets, ils vibraient déjà ici et là sur The Wrong
Kind of War, en 2016, entre une guitare acoustique et un piano pudique. Cette fois, ils prennent toute la place, avec la puissance déferlante d’un octuor.
Le retour est du genre… inattendu. D’autant qu’Imany avait annoncé, à la suite de sa dernière tournée, vouloir mettre un terme à sa carrière – alors jeune maman et épuisée, elle vivait cette double vie comme un déchirement. «Je m’étais dit, c’est fini, je vais monter un business de cookies et on n’en parle plus, lance-t-elle dans un sourire. Je fais de très bons cookies.» C’est la musicienne, et non la pâtissière, qu’on retrouve à Genève. Dans un hall d’hôtel baigné de lumière, Nadia Mladjao, de son nom de ville, raconte comment le violoncelle lui a fait changer d’avis.
SOUS LA DOUCHE
On lui prête un timbre quasi humain, une langueur sensuelle, envoûtante. Imany confirme. «C’est l’instrument préféré des gens mais il est si exigeant, si volumineux et fragile, si cher aussi que peu en jouent. Moi, j’ai l’impression d’avoir été un violoncelle dans une vie antérieure. Ou une vie future…»
Ce projet à cordes l’habitait depuis longtemps. Juste avant le confinement, il lui redonnera des envies de scène, de live électrisé, de concept à défendre. Elle le sait, celui-ci alléchera moins les ondes qu’un remix bien huilé. Mais «tout comme le violoncelle, qui peut se faire grave ou aigu sans octaveur, sans trucage», Imany veut rester vraie. Y aller comme elle est. La maison de disques suit: feu vert pour un album acoustique, entièrement dédié aux reprises.
Surprise, là encore. Si l’exercice est associé aux jeunes artistes, qui s’arriment aux mots, aux sillons des autres avant d’avoir creusé les leurs, Imany y voit un potentiel jubilatoire: «J’ai toujours aimé les
reprises, j’en fais régulièrement dans mes concerts. Cette sensation d’être sous la douche, de fermer les yeux et de chanter une chanson qu’on kiffe. Me demander ce qu’on peut en faire, quelle autre lecture leur donner. Comme un laboratoire.»
DE BONNIE TYLER AU FILM D’HORREUR
Pas d’éprouvettes mais des batteries de tests mélodiques auxquels seront soumis une vingtaine de tubes – la sélection, éclectique, va d’Ed Sheeran à Black et Henri Salvador. En studio avec ses violoncellistes, Imany dépouille, retourne, secoue les morceaux pour en révéler la substantifique moelle. Ou, au contraire, leur apposer d’autres couleurs.
Le classique de Madonna Like a Prayer, porté par un pizzicato qui monte dans les tours, prend des airs mystiques. Sur Total Eclipse of the Heart, les synthés de Bonnie Tyler laissent place à une pluie d’archets stridents, quasi hitchcockiens. «Je voulais que cette variété mélo sonne un peu comme un film d’horreur. Je me suis imaginé une femme qui se retrouve tout à coup seule dans les bois, la nuit, parce que son copain l’a abandonnée là.»
Imany a des scénarios en tête, mais pas les termes techniques pour les décrire. Peu importe. «On avait des codes. Je disais aux musiciens: je veux que ça sonne comme des petites souris, des éclairs, des fusées! Mes enfants m’aidaient à trouver les termes. Devant les clés et les tonalités, l’autodidacte est souvent complexé. Mais ce qui compte, c’est le résultat. Trouver un langage commun.»
Déconstruire son rapport au classique, c’est aussi inviter le noble instrument à se dévergonder. Ici, le violoncelle toque, gronde, là, se prend pour une basse, une guitare, une batterie. Imany veut le pousser dans ses retranchements, titiller ses compagnons de voltige. «Ils me disaient: «Je ne peux pas jouer aussi près du chevalet, c’est un sacrilège!» Les mondes s’entrechoquent, convergent aussi comme sur Believer, titre explosif d’Imagine Dragons qu’introduit un extrait de… la Marche funèbre de Chopin.
La sauce Imany, c’est aussi de reprendre Wild
World, de Cat Stevens, en comorien. Un hommage à la version d’un artiste de l’archipel, la seule que connaissait sa mère, qui l’accompagne sur le morceau. «La manière dont le titre a été écrit me semblait un peu paternaliste. J’ai préféré imaginer une mère qui prépare sa fille au monde qui l’attend. Ça a été plus facile de trouver les arrangements ensuite.»
Une relecture tendre, l’une des plus belles de l’album, que les huit violoncellistes reprendront sur scène… en marchant, voire en dansant, grâce à un dispositif technique leur permettant de jouer debout. En imaginant ces instruments si sages tout à coup prendre vie, comme possédés par une volonté propre, on comprend mieux le titre du disque, Voodoo Cello. Imany raconte son épiphanie, lorsqu’elle découvre une phrase sur le mur d’un musée strasbourgeois: «Le vaudou, l’art de voir les choses autrement.» Magie du hasard: «C’est exactement ce qu’on essaie de faire. De la musique autrement.»
«J’ai toujours aimé les reprises, […] cette sensation d’être sous la douche, de fermer les yeux et de chanter une chanson qu’on kiffe»