A quand la récusation du docteur honoris causa Benito Mussolini?
L’exposition au Musée historique de Lausanne, en cours jusqu’en janvier 2022, nous présente l’histoire de l’immigration italienne ces cent cinquante dernières années. On y trouve de nombreuses photos et portraits d’immigrés confrontés à des conditions de travail et de vie souvent difficiles (je revois mes grands-parents piémontais venus avant la Première Guerre à Lausanne), des objets de la vie quotidienne (les cafetières, le verre de Cinzano) et des rappels de luttes politiques (initiatives Schwarzenbach en 1970, «Etre solidaires» en 1981). On y voit aussi la construction du pont Chauderon il y a plus d’un siècle, les rues du centre-ville entre belle animation et mauvaises conditions de logement ainsi que la joie «azzura» lors de la victoire au Championnat du monde de football en 1982. Intéressant. Important.
Et puis – stupéfaction –, on y découvre aussi une affiche de l’Université de Lausanne décernant en 1937 «le grade de docteur ès sciences sociales et politiques – doctorat honoris causa – à Benito Mussolini, ancien étudiant à la Faculté de droit, pour avoir conçu et réalisé dans sa patrie une organisation sociale qui a enrichi la science sociologique et qui laissera dans l’histoire une trace profonde». Sic. Quelle «trace profonde»? Le fascisme, l’invasion de l’Ethiopie, le soutien à Franco en Espagne en 1936 et la Deuxième Guerre mondiale. Le choc. Sans commentaire de l’exposition, sauf une allusion à la sensibilité fasciste des milieux vaudois en lien avec la construction de la Casa d’Italia en 1933.
Benito Mussolini a vécu en Suisse de 1902 à 1904 et n’a fréquenté que quelques mois l’Université de Lausanne sans même y être inscrit, disent certains, et sans laisser aucune trace académique. De retour au pays, après avoir créé le Parti national fasciste et un an après la marche sur Rome, il devient président du Conseil du Royaume italien en 1922. Sous son autorité, l’Italie devient un régime fasciste à parti unique: pas de liberté de la presse, mairies supprimées, peine de mort introduite, droit de grève supprimé, etc. En 1935-1936 – avant la nomination en 1937 de l’Université de Lausanne –, Mussolini dirige personnellement la guerre contre l’Ethiopie, avec armes chimiques et massacres; il est condamné par l’ONU mais proclame la naissance de l’Empire. Dès 1936 aussi, en accord avec Hitler, il soutient activement le général Franco, avec armes et soldats italiens, dans la guerre civile espagnole et en novembre 1936, il annonce la création de l’axe Rome-Berlin. Cela n’a pas empêché une délégation de l’université d’aller à Rome en avril 1937 remettre en mains propres à Mussolini le document-diplôme «Honoris causa».
Une exposition n’est pas un cours d’histoire, ni une analyse politique. Soit. Mais pourquoi présenter cette affiche de l’Université de Lausanne de 1937 honorant le dictateur Mussolini? Comment les autorités politiques lausannoises et italiennes ayant pris la parole au vernissage à la mi-août ont-elles pu ignorer l’affiche de l’université? Comme d’ailleurs votre journal lors de sa présentation de l’exposition dans son édition du 4 septembre.
Plutôt qu’à la discrétion et aux archives fermées, l’heure politique et académique ne serait-elle pas au débat historique critique et à la récusation publique de cette intolérable nomination de ce dirigeant fasciste par les autorités universitaires et politiques lausannoises et vaudoises (le Conseil d’Etat a ratifié la décision académique en 1937)?
Au nom de l’amitié avec le peuple italien, de la reconnaissance universitaire, de l’histoire et du respect de l’Etat de droit.
■
Plutôt qu’à la discrétion et aux archives fermées, l’heure politique et académique ne serait-elle pas au débat historique critique?