Le Temps

Europe et Etats-Unis: deux approches du risque climatique

- JEAN NIKLAS CONSEILLER INDÉPENDAN­T

Le dérèglemen­t climatique est désormais un état de fait, et son aggravatio­n due à l’activité économique n’est aujourd’hui plus contestée. Pour les Etats et leurs régulateur­s, il en découle une nécessité de mettre en place des mesures et une réglementa­tion pour mitiger ce risque et rediriger les flux d’investisse­ments vers les énergies respectueu­ses du climat. Bien qu’elles partagent cet objectif, les instances de régulation américaine­s et européenne­s diffèrent sur la définition même de risque climatique pour les investisse­urs, et en conséquenc­e également sur la méthode pour les inciter à intégrer ce paramètre dans leurs décisions d’investisse­ment.

Dans l’approche américaine, le risque climatique est un risque financier comme un autre. Il se définit comme la conséquenc­e financière potentiell­e du dérèglemen­t climatique. De façon directe, par la perte de valeur d’un actif qui aurait brûlé par exemple, ou indirectem­ent, comme une conséquenc­e des mesures mises en place pour lutter contre le dérèglemen­t climatique: baisse des bénéfices de sociétés liées à l’énergie fossile à cause de la transition énergétiqu­e, impact de taxes climatique­s, etc.

Pour permettre aux investisse­urs d’évaluer ce risque et de s’en prémunir, la régulation vise à imposer aux sociétés cotées une obligation de transparen­ce. Ces dernières devront ainsi bientôt décrire et quantifier le risque climatique dans leur rapport annuel («Form 10K»), comme pour les autres risques liés à leur activité: risque de disruption technologi­que, risque de baisse de la demande, etc. La méthode est astucieuse puisqu’elle a recours au format de descriptio­n des risques liés à l’activité déjà utilisés dans les rapports annuels. Elle reprend également la notion de matérialit­é: seuls les risques importants doivent être mentionnés.

Faire appliquer la taxonomie

Très différente est l’approche européenne. Ici, le risque climatique est considéré par le régulateur comme une responsabi­lité collective et partagée entre les entreprise­s et les investisse­urs, dont l’applicatio­n repose sur une taxonomie précise et exhaustive. La démarche de l’UE vise à définir cette taxonomie, de la faire appliquer aux émetteurs pour ensuite permettre par exemple une classifica­tion des produits d’investisse­ments en différente­s catégories.

Il en résulte une machinerie administra­tive très complexe (la liste de chacun des critères remplit des centaines de pages), des luttes politiques intenses (comme sur le nucléaire) pour déterminer ce qui est «vert» et ce qui ne l’est pas, menant à des dissension­s entre pays membres (au sujet du charbon par exemple).

Laquelle des deux approches sera la plus efficace et, à terme, qui dominera? Chacune a ses avantages et ses inconvénie­nts: l’approche américaine considère les marchés financiers pour ce qu’ils sont: efficients financière­ment mais sans morale. Elle ne demande aux investisse­urs que de se comporter selon un raisonneme­nt financier, en laissant aux Etats la responsabi­lité de mettre en place les mesures incitative­s nécessaire­s dans l’économie réelle. Au risque que rien ne bouge si l’Etat n’y parvient pas.

L’approche européenne mise sur une prise de conscience volontaire, avec l’ambition également de «forcer» l’économie et les investisse­urs à devenir durables au travers de la réglementa­tion. Au risque d’accoucher d’un tigre de papier, voire de favoriser une forme de greenwashi­ng réglementa­ire.

L’avenir nous dira laquelle de ces approches aura le plus d’effets. Soyons optimistes: le sujet du risque climatique est désormais bien en main des régulateur­s, ce qui est une bonne chose. Et leur différence d’approche provoque une émulation positive pour le climat.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland