Europe et Etats-Unis: deux approches du risque climatique
Le dérèglement climatique est désormais un état de fait, et son aggravation due à l’activité économique n’est aujourd’hui plus contestée. Pour les Etats et leurs régulateurs, il en découle une nécessité de mettre en place des mesures et une réglementation pour mitiger ce risque et rediriger les flux d’investissements vers les énergies respectueuses du climat. Bien qu’elles partagent cet objectif, les instances de régulation américaines et européennes diffèrent sur la définition même de risque climatique pour les investisseurs, et en conséquence également sur la méthode pour les inciter à intégrer ce paramètre dans leurs décisions d’investissement.
Dans l’approche américaine, le risque climatique est un risque financier comme un autre. Il se définit comme la conséquence financière potentielle du dérèglement climatique. De façon directe, par la perte de valeur d’un actif qui aurait brûlé par exemple, ou indirectement, comme une conséquence des mesures mises en place pour lutter contre le dérèglement climatique: baisse des bénéfices de sociétés liées à l’énergie fossile à cause de la transition énergétique, impact de taxes climatiques, etc.
Pour permettre aux investisseurs d’évaluer ce risque et de s’en prémunir, la régulation vise à imposer aux sociétés cotées une obligation de transparence. Ces dernières devront ainsi bientôt décrire et quantifier le risque climatique dans leur rapport annuel («Form 10K»), comme pour les autres risques liés à leur activité: risque de disruption technologique, risque de baisse de la demande, etc. La méthode est astucieuse puisqu’elle a recours au format de description des risques liés à l’activité déjà utilisés dans les rapports annuels. Elle reprend également la notion de matérialité: seuls les risques importants doivent être mentionnés.
Faire appliquer la taxonomie
Très différente est l’approche européenne. Ici, le risque climatique est considéré par le régulateur comme une responsabilité collective et partagée entre les entreprises et les investisseurs, dont l’application repose sur une taxonomie précise et exhaustive. La démarche de l’UE vise à définir cette taxonomie, de la faire appliquer aux émetteurs pour ensuite permettre par exemple une classification des produits d’investissements en différentes catégories.
Il en résulte une machinerie administrative très complexe (la liste de chacun des critères remplit des centaines de pages), des luttes politiques intenses (comme sur le nucléaire) pour déterminer ce qui est «vert» et ce qui ne l’est pas, menant à des dissensions entre pays membres (au sujet du charbon par exemple).
Laquelle des deux approches sera la plus efficace et, à terme, qui dominera? Chacune a ses avantages et ses inconvénients: l’approche américaine considère les marchés financiers pour ce qu’ils sont: efficients financièrement mais sans morale. Elle ne demande aux investisseurs que de se comporter selon un raisonnement financier, en laissant aux Etats la responsabilité de mettre en place les mesures incitatives nécessaires dans l’économie réelle. Au risque que rien ne bouge si l’Etat n’y parvient pas.
L’approche européenne mise sur une prise de conscience volontaire, avec l’ambition également de «forcer» l’économie et les investisseurs à devenir durables au travers de la réglementation. Au risque d’accoucher d’un tigre de papier, voire de favoriser une forme de greenwashing réglementaire.
L’avenir nous dira laquelle de ces approches aura le plus d’effets. Soyons optimistes: le sujet du risque climatique est désormais bien en main des régulateurs, ce qui est une bonne chose. Et leur différence d’approche provoque une émulation positive pour le climat.
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