«Nous voulons décarboner la Suisse romande»
TRANSITION Le directeur de Romande Energie, Christian Petit, estime que la région a le potentiel pour se démarquer à condition que le parc immobilier existant soit rénové trois fois plus vite. Le groupe investit des centaines de millions dans les alternat
La transition énergétique fait désormais autant couler l'encre que le Covid-19 et, en Suisse romande, une entreprise joue les premiers rôles pour se dépêtrer du fossile: le groupe centenaire Romande Energie. La firme de Morges (VD) multiplie les communiqués à ce sujet. Ces trente derniers jours, elle a donné le premier coup de pioche d'un projet d'éoliennes à Sainte-Croix, a fait la promotion de «maisons bas carbone», a évoqué une solution «agrivoltaïque», du coaching personnalisé pour l'environnement, non sans oublier le potentiel de l'hydrogène dans l'immobilier. Entretien avec son directeur, Christian Petit, rencontré en marge du Forum des 100 vendredi.
En cent trente ans d’histoire, est-ce que Romande Energie a déjà été aussi dynamique?
Ce serait faire injure à nos aïeux de répondre non. La société électrique Vevey-Montreux a inauguré, en 1888, la deuxième ligne de tramway électrique de Suisse entre Vevey et Chillon; elle deviendra par la suite la Société romande d'électricité, avant de fusionner en 1997 avec la Compagnie vaudoise d'électricité pour donner naissance à Romande Energie. Plus récemment, le groupe a contribué à l'agrandissement de la station de pompage-turbinage de Veytaux, près du château de Chillon, creusant une caverne capable d'accueillir la cathédrale de Lausanne. Nous avons souvent fait face à des défis colossaux.
Vous avez donc l’expérience nécessaire face à la transition énergétique?
Nous avons de l'expérience dans les projets sur le long terme. Cela fait douze ans que nous travaillons sur le projet des éoliennes de Sainte-Croix et nous venons enfin de lancer le chantier. L'énergie, c'est du long terme. Il y a désormais une accélération car les énergies renouvelables permettent à de plus en plus de clients de ne plus être des consommateurs passifs.
En faisant quoi? En installant des panneaux solaires chez eux et en devenant producteurs d'électricité, ils peuvent consommer eux-mêmes leur courant ou réinjecter l'électricité dans le réseau.
Quelle part cela représente-t-il dans votre électricité?
Entre 2% et 3%, mais ça va évoluer vite. En 2050, le photovoltaïque de particuliers, de communes ou d'industries doit représenter 40% des besoins suisses en électricité, soit l'équivalent de la production nucléaire aujourd'hui, qui va disparaître.
La pandémie accélère-t-elle ou ralentit-elle cette tendance?
Ni l'un ni l'autre. L'Accord de Paris a plus d'impact. Depuis le début de l'ère industrielle, l'humanité a émis 2400 gigatonnes de CO2 dans l'atmosphère et il reste un crédit de 300 gigatonnes pour rester en dessous des 1,5° de réchauffement climatique, selon le GIEC. Actuellement, on émet 40 gigatonnes de CO2 par an. Il reste une décennie pour éviter la catastrophe dont on a vu les prémices cet été, entre inondations et incendies. Il y a urgence et notre rôle consiste à tout faire pour aider nos clients à ne plus émettre de CO2.
De quels leviers disposez-vous?
Nous voulons être un acteur local actif de la décarbonisation. Nous avons adopté une stratégie à trois niveaux pour faire de la Suisse romande la première région de Suisse décarbonée. Elle a tout pour y arriver. Le premier niveau porte sur des investissements dans la production d'énergie.
Nous allons investir 1 milliard de francs dans les cinq ans [Romande Energie a publié un chiffre d'affaires de 569 millions en 2020, ndlr] dans les énergies renouvelables.
Comment inciter vos clients à faire ce pas?
Le deuxième niveau de notre offre doit permettre d'aider nos clients à décarboner leurs activités. Notre solution «click & charge» équipe des parkings souterrains en bornes de recharge pour véhicules électriques. Nous proposons aussi de financer nous-même l'installation de panneaux solaires, sur des toits d'immeubles par exemple, et d'ensuite vendre aux habitants à un prix fixe, et moins cher, l'électricité ainsi générée. Le troisième volet consiste à sensibiliser les consommateurs.
N’est-ce pas là le rôle de l’Etat? Le canton de Vaud détient 39% de notre capital, il joue son rôle dans la transition énergétique et nous avons le nôtre, différent. Pour sensibiliser les consommateurs, nous cofinançons avec des communes des coachs en décarbonisation qui aident les familles inscrites à ce programme à revisiter leurs modes de vie et de consommation pour réduire leurs émissions.
Romande Energie produit un cinquième de l’énergie que vous vendez, les 80% restants sont achetés sur les marchés. Allez-vous augmenter votre production maison?
Quand les prix de l'électricité sont bas, comme cette dernière décennie, les producteurs d'électricité souffrent. Alpiq, dont nous sommes actionnaires, a souffert. Quand les prix flambent, ceux qui pleurent sont ceux qui ne produisent pas d'énergie. L'équilibre idéal, c'est produire la moitié de ce qu'on vend et acheter l'autre moitié sur les marchés. C'est le but que nous poursuivons.
Comment augmenter votre production maison?
Nous allons investir 250 millions de francs dans le solaire, idem dans l'éolien et les chauffages à distance. La société Agepp, dont nous sommes actionnaire, lance un forage géothermique en novembre à Laveyles-Bains. On cherche de l'eau chaude et suffisamment de débit pour produire de la chaleur. Il y a des projets de géothermie à Vinzel et dans l'agglomération de Lausanne, et des projets de chauffage à distance à Montreux, Nyon et Ecublens. Le canton de Vaud disposerait d'un quart du potentiel géothermique de Suisse.
Et l’hydrogène? L'hydrogène naturel est très rare, il faut donc le produire, ce qui requiert de l'énergie. Jusqu'à présent, il est surtout produit en émettant du carbone. Le défi, c'est de créer de l'hydrogène vert. Nous avons des projets dans ce sens, sur lesquels nous communiquerons en temps voulu.
Quelles solutions l’hydrogène peut-il apporter dans l’immobilier?
On peut transformer en hydrogène l'énergie non utilisée produite par des panneaux solaires et la stocker avant de créer, par exemple, de la chaleur. Il y a des pertes de rendement dans ce processus mais avec la hausse des prix de l'énergie, ce modèle devient attractif. On peut aussi stocker l'électricité dans un barrage ou des batteries. Les barrages sont les plus grandes piles de la Suisse. Celui du lac de l'Hongrin correspond à 1 million de batteries de Tesla.
La hausse des prix de l’énergie serat-elle durable?
Il y a eu une baisse des prix la semaine dernière, mais cette année, les cours de l'électricité, du gaz et du charbon ont explosé. C'est dû à la reprise après les restrictions sanitaires, aux spéculations sur la capacité de la Russie à fournir l'Europe en gaz, à une production estivale médiocre d'énergies renouvelables faute de soleil et de vent. Vu l'électrification de la société, la disparition programmée du nucléaire et les coûts en hausse de l'extraction des énergies fossiles, je pense, sans en être certain, qu'on va aller vers une hausse structurelle des prix de l'énergie.
Fin août, Romande Energie a annoncé une hausse de ses tarifs d’environ 1%. Le signe d’une hausse durable des prix pour votre clientèle?
Pour fournir les particuliers, nous achetons l'électricité un ou deux ans à l'avance. Il n'y a donc pas encore eu d'impact important pour eux. Si les prix devaient rester élevés, alors nous devrions sans doute augmenter sensiblement nos tarifs en 2023. Nos clients industriels ressentent par contre déjà cette hausse.
Romande Energie a mentionné un projet agrivoltaïque. En quoi consiste-t-il?
C'est une solution face au manque de place pour les panneaux photovoltaïques. La Suisse veut produire 35 TWh d'électricité par le biais de tels panneaux en 2050 contre 2,6 TWh en 2020 et, pour cela, les toits ne suffiront probablement pas. Il faut regarder ailleurs et il y a du potentiel dans les surfaces agricoles. Les petits arbres fruitiers ont besoin d'ombre. Nous pouvons installer des panneaux au-dessus, avec un système de gestion de l'ombre qu'ils leur procureraient. Il y a aussi des projets au-dessus de parkings, d'autoroutes ou de friches industrielles. Des panneaux flottent en altitude sur le lac des Toules, bénéficiant de l'effet miroir de l'eau et d'un meilleur ensoleillement en hiver.
La durée de vie limitée des panneaux solaires n’est-elle pas un frein?
Un panneau solaire a une durée de vie d'au moins vingt ans, mais chaque année il perd un peu de rendement, or les nouvelles générations de panneaux proposent des rendements toujours meilleurs, ce qui incite à remplacer les parcs existants. Aujourd'hui, 80% du prix des panneaux en Suisse vont dans la main-d'oeuvre qui les monte, les démonte et les entretient.
Quel est le plus gros chantier: augmenter la production locale ou rénover les bâtiments pour améliorer leur efficience énergétique?
La rénovation de bâtiments ne va pas assez vite: 1% du parc immobilier suisse est rénové chaque année. A ce rythme, on va mettre cent ans pour l'adapter, or nous en avons trente. Il faut tripler le rythme des rénovations. Aujourd'hui, on construit plus facilement du neuf qu'on ne rénove. Le plus gros chantier, c'est de faire décoller le rythme des rénovations.
Les conditions-cadres sont-elles réunies pour accélérer ces dernières?
Le modèle économique de la rénovation est difficile car le propriétaire ne peut pas transférer le coût de celle-ci dans les loyers. On espérait beaucoup de la loi sur le CO2 [un projet de loi refusé par le peuple en juin, ndlr] qui renforçait les normes obligeant les propriétaires à réduire leurs émissions et proposait des subventions pour les énergies propres. En plus, il manque 300 000 travailleurs en Suisse pour effectuer ces rénovations (selon le groupe Impact Living) et peu de jeunes embrassent ces métiers difficiles.
«Il y a urgence et notre rôle consiste à tout faire pour aider nos clients à ne plus émettre de CO2»