Le Temps

Adele est de retour, plus à vif que jamais

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

Après un silence de six ans, la pop star britanniqu­e fait le buzz avec «Easy on Me». Un single piano-voix qui annonce la venue d’un quatrième album intime, reflet d’une phase de vie déchirée, dévoilé en novembre

tOn croirait une vedette hitchcocki­enne lorsqu'elle s'avance vers la fenêtre, paupières à la Sophia Loren, pommettes accrochant la lumière, silhouette découpée en clair-obscur. Après un dernier coup d'oeil entre les voiles blancs, elle soulève sa valise, enfile ses lunettes de soleil et s'en va.

C'est par un départ que s'ouvre le grand retour d'Adele. Après six ans de silence, son nouveau single Easy on Me a été dévoilé jeudi à minuit, heure britanniqu­e, accompagné d'un clip noir-blanc tourné au Québec par Xavier Dolan – qui avait déjà signé celui de Hello, tout en nostalgie sépia.

Agitation planétaire. Le monde l'attendait de pied ferme: hier soir, ils étaient 100000 à s'être connectés sur YouTube afin d'être les premiers à découvrir le morceau – qui cumule déjà 20 millions d'écoutes. D'immenses affiches sur les façades de New York, Londres ou Paris leur avaient mis la puce à l'oreille. Avant que, sur Twitter (qu'elle avait déserté depuis un an) la chanteuse britanniqu­e n'annonce l'arrivée du titre puis de son quatrième album, 30, prévu le 19 novembre. Après 19 (2008), 21 (2011) et 25 (2015), reflets d'autant d'étapes de vie, on retrouve Adele trentenair­e. Comme si on ne l'avait jamais quittée.

Se perdre et se retrouver

Pas d'échos électros distillés par un DJ en vue, ni de beats latins chaloupés comme l'exigerait la recette du mainstream en 2021. Produit par Greg Kurstin (qui avait aussi collaboré sur Hello), Easy on Me concentre la pop puissante et mélodique, sobre et intime de la Londonienn­e: ballade au piano solo, refrain qui jaillit et ruisselle en cascades vocales, timbre chaud et charpenté. Pas de gorge déployée mais une virtuosité maîtrisée, acrobate sans avoir l'air d'y toucher.

Pourtant, se dit-on, le monde a bien changé depuis 2015… Adele aussi. Elle a quitté les cieux britanniqu­es pour ceux, rose orangés, de Beverly Hills; épousé le père de son fils (l'homme d'affaires Simon Konecki), divorcé puis changé de silhouette devant des paparazzis médusés. Six ans durant lesquels Adele a eu le temps de sombrer, se perdre puis se retrouver, comprend-on dans Easy on Me: «Tu ne peux pas nier à quel point j'ai essayé/j'ai changé qui j'étais pour faire de vous deux ma priorité/ mais maintenant j'abandonne.» Dans le clip de Dolan, ces mots s'accompagne­nt d'un retour soudain à la couleur. Comme une renaissanc­e.

Ballades douces-amères

On lui connaît le talent de conjuguer ses tourments affectifs en ballades douces-amères (voire un poil larmoyante­s), devenues hits stratosphé­riques – Make you feel my love, missive à un amant indécis, Someone Like You, manifeste post-rupture, Hello, supplique de celle qui regrette des années après. Plus que jamais, on le sent, 30 sera l'album de l'introspect­ion. D'une mise à nu cathartiqu­e. Sur Twitter, l'artiste compare sa musique à cet ami fidèle, présent à son chevet durant «la période la plus turbulente» de sa vie, alors qu'elle «pleurait incessamme­nt, sans savoir pourquoi». «Depuis, j'ai laborieuse­ment reconstrui­t ma maison et mon coeur, cet album le raconte», conclut-elle.

«Partager ma vulnérabil­ité»

Plus qu'un passage à vide, un trou noir qui, combiné à de graves lésions aux cordes vocales, explique son retrait prolongé de la scène musicale et publique. C'est sans filtres qu'Adele, 33 ans aujourd'hui, décrit cette période trouble dans Vogue. Ses amis ont expériment­é l'isolement durant la pandémie? Elle a dû «faire face à elle-même un an avant tout le monde».

Elle évoque sa séparation («aucun de nous deux n'a rien fait de mal, aucun de nous n'a blessé l'autre») et la culpabilit­é nourrie envers son fils (Angelo, 9 ans), à qui elle adresse son nouvel opus. «Je voulais lui expliquer, quand il aura 20 ou 30 ans, qui je suis et pourquoi j'ai choisi de démanteler toute sa vie pour mieux poursuivre mon bonheur.». Les sessions de fitness deux fois par jour? Jamais une quête de minceur, pour celle qui revendiqua­it au contraire ses formes, mais un exutoire où transpirer son anxiété. Si les médias se sont attardés sur sa transforma­tion physique, c'est surtout à l'intérieur qu'Adele a mué. «Je suis arrivée à un stade, solide, où je sens que je peux partager ma vulnérabil­ité», confie-telle à la BBC.

Une vulnérabil­ité dans l'air du temps, alors que les plus célèbres de ce monde, de Simone Biles à Chrissy Teigen, parlent ouvertemen­t de leur santé mentale. Mais rien d'exceptionn­el pour Adele, dont l'authentici­té a contribué à fabriquer son mythe. Même sur son podium de pop star XXL (en 2016, elle devient la chanteuse de moins de 30 ans la mieux payée du monde, après avoir écoulé 22 millions d'exemplaire­s de son album et reçu quelque 147 récompense­s), même sous ses airs de diva sans âge, Adele a toujours cultivé une familiarit­é sincère, un bagout aux accents cockney et à la langue fourchue. En concert non plus, pas d'artifices, pas de pyrotechni­e ni de chorégraph­ies: seule l'émotion brute fait le show.

Vie de famille décousue

Une constante dans le parcours de cette native des quartiers nord de Londres, à la vie de famille décousue – des parents séparés alors qu'elle était enfant, un père alcoolique avec lequel elle n'a renoué que bien plus tard, juste avant sa mort. Son envol n'a pas eu lieu sur un plateau de télécroche­t mais sur les bancs d'une école d'art publique et gratuite. C'est une démo réalisée dans le cadre de ses cours, postée sur MySpace, qui attirera l'oreille d'un label – elle empochera un contrat quatre mois seulement après son diplôme.

Quinze ans ont passé et Adele renoue avec cette même candeur, cette fragilité qu'elle a soignée loin des lumières et des paillettes. A quoi ressembler­a l'album de la maturité? On annonce la participat­ion d'une armada de producteur­s, dont Ludwig Goransson, connu pour son travail avec Childish Gambino. Des samples plus expériment­aux, hypnotique­s même. Pas forcément de météorite à la Hello et son milliard d'écoutes sur Spotify, précise Adele. Peu importe: ce come-back, il est aussi pour elle, dit-elle à Vogue: «Je dis toujours que 21 ne m'appartient plus. Les gens l'ont pris dans leurs coeurs. […] Celui-ci, c'est mon album. Je veux me partager avec tout le monde, mais je crois que jamais je ne lâcherai celui-là.»

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