Et si la Chine était plus vulnérable qu’il n’y paraît?
Au plus fort de la guerre froide, un groupe d’intellectuels américains a mis en doute les calculs de la CIA relatifs à la capacité militaire de l’URSS: à leurs yeux, l’agence sous-estimait le nombre et la qualité des missiles dont Moscou disposait. La Maison-Blanche décida de confier à ces critiques la mission d’évaluer les travaux de la CIA. Ce fut l’origine du Team A et du Team B, méthode restée célèbre dans l’histoire du renseignement. (Les critiques, motivés idéologiquement, avaient tort.)
On peut se demander s’il n’y aurait pas lieu d’appliquer la même recette dans l’analyse de la puissance réelle de la Chine. Si personne ne conteste l’impressionnante quantité de missiles, d’avions et de navires militaires dont la Chine s’est dotée, quelques auteurs font état de la fragilité du système économique chinois sur lequel repose la prétention de Pékin à devenir une superpuissance mondiale. La chute de l’empire immobilier Evergrande, emblématique du puissant secteur immobilier, illustre les difficultés croissantes du modèle chinois. Il y a en Chine 90 millions de logements vacants dans un pays où l’immobilier pèse davantage que le secteur bancaire.
Un récent article de Michael Schuman dans
The Atlantic soulignait que la faillite programmée de ce groupe, dont la dette se monte à 300 milliards de dollars, met en lumière la faiblesse souterraine de l’économie chinoise du fait qu’elle est dirigée par le Parti communiste chinois selon des critères politiques et non pas en fonction des lois de l’économie. La réforme économique tentée par le gouvernement se heurte à de multiples obstacles bureaucratiques. La démographie de ce pays vieillissant ne favorise pas non plus la performance économique.
On a tort de se fonder pour l’apprécier sur les seuls succès de la technologie chinoise, l’utilisation de la 5G et de l’intelligence artificielle ou sur le taux de croissance, symbole du succès affiché par le parti, mais qui masque le problème inquiétant de la dette. George Magnus, ancien économiste en chef d’UBS à Londres, rappelle que la dette a été multipliée par un facteur de 13 en 15 ans! C’est trois fois la taille de l’économie, et il faut s’attendre à ce qu’un quart de ce montant ne soit pas remboursé. Le revenu par tête d’habitant n’est que de 10550 dollars, soit un sixième de ce qu’il est aux Etats-Unis. Même la progression de la classe moyenne qui s’est développée de manière remarquable semble avoir atteint un plateau. La Chine se referme sur le programme d’autosuffisance qu’elle s’est donné. La reprise en main de l’économie privée pour la subordonner à la volonté du parti, constatée depuis une année, a affaibli de grands groupes naguère prospères et très compétitifs sur le plan international tels que Alibaba – l’Etat veut faire des exemples et montrer qu’il se préoccupe de la lutte contre les inégalités, mais pour autant, il ne gère pas sa politique économique de manière conforme à la loi du genre.
Sans doute Xi Jinping cherche-t-il à consolider son pouvoir en vue du congrès du parti de l’an prochain. Dans le domaine économique, certains aspects de la politique menée par le président chinois revêtent un caractère d’aventurisme, et ce n’est pas pour rien que d’aucuns la comparent déjà à l’époque de Mao. La poursuite forcenée du réarmement et du renforcement de l’armée populaire chinoise entraîne un sentiment général d’insécurité. A cela s’ajoute la détérioration des relations avec les EtatsUnis et les pays occidentaux en général. Toutefois le dialogue poursuivi avec l’administration Biden apporte quelques signes d’espoir en vue d’une stabilisation de la situation, qui reste à un niveau élevé de tension.
Xi Jinping a-t-il dévoilé trop tôt son ambition de rivaliser avec les Etats-Unis et de s’écarter de la ligne plus prudente prônée par Deng Xiaoping? Tout à coup, après avoir fait pression sur les côtes de Taïwan, le secrétaire général du PCC a déclaré vouloir obtenir la réunification pacifique de l’île et du continent. Peut-être est-ce un signe encourageant. ■