Patrick Buisson, de Sarkozy à Zemmour
L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy figure en tête des accusés jugés pour «recel», «favoritisme» et «détournement de fonds publics par négligence» dans le cadre du procès des sondages commandés par l’Elysée entre 2007 et 2011
Le «mauvais génie» de Nicolas Sarkozy est désormais assis parmi les accusés, devant le Tribunal correctionnel de Paris. Patrick Buisson, 72 ans, avait ainsi été surnommé par les journalistes du Monde Ariane Chemin et Vanessa Schneider, au point de donner ce titre au livre qu’elles lui consacrèrent en 2015. Historien, journaliste, activiste d’extrême droite depuis sa jeunesse, ce dernier fut, à partir de 2007, l’un des conseillers les plus écoutés de l’ancien président français, en particulier sur son thème favori de «l’explosion des droites» et de la nécessité, pour Nicolas Sarkozy, de courtiser les électeurs du Front national en s’appuyant sur les thèmes identitaires. Mais Patrick Buisson avait aussi une face cachée: celle d’observateur de l’opinion française et de commanditaire, pour cela, de sondages très coûteux passés sans appel d’offre.
C’est ce rôle de donneur d’ordres soupçonné d’avoir détourné 1,5 million d’euros qui lui vaut d’être jugé à partir de ce lundi, aux côtés d’autres prévenus comme l’ex-patron de l’Institut Ipsos Pierre Giacometti ou l’ex-directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy Emmanuelle Mignon. Ils devront répondre d’accusations de «recel», «favoritisme» et «détournement de fonds publics par négligence», suite à une plainte déposée par l’association de lutte contre la corruption Anticor. Le procès doit durer un mois.
Des surfacturations devenues habituelles
Se focaliser sur Patrick Buisson à l’ouverture des débats au Tribunal correctionnel est tout à fait logique. C’est autour de cette éminence grise, auteur de La Cause du peuple (Perrin) en 2016, que tourne cette affaire dans laquelle l’ancien chef de l’Etat n’est pas accusé, protégé par l’immunité liée à son mandat présidentiel entre 2007 et 2012. L’affaire, en soi, est banale: l’institut de sondage Ipsos, tout comme son concurrent Opinion Way (créé par des anciens d’Ipsos) sont accusés d’avoir engrangé les commandes d’enquête d’opinion de Publifact, la société du conseiller élyséen, entre 2007 et 2011. Lesquelles commandes étaient surfacturées et alimentaient de juteuses rétrocommissions. Une escroquerie à l’argent public, dont le caractère particulier vient de son origine (la présidence de la République) et du but recherché (justifier et alimenter la dérive droitière de Nicolas Sarkoy). Coïncidence? Ces habitudes de surfacturation se sont perpétuées ensuite lors de la campagne présidentielle de 2012, pour laquelle le parti présidentiel UMP s’est retrouvé pris dans un engrenage de malversations pour masquer le dépassement du plafond légal de dépenses électorales – la fameuse affaire Bygmalion – sur lesquelles la justice a tranché en condamnant Nicolas Sarkozy à un an de prison ferme le 20 septembre. L’ancien président a, dans cette affaire, interjeté appel.
Difficile, en effet, de ne pas établir un lien politique entre les commandes camouflées de sondages, le dépassement du plafond des dépenses de campagne… et l’actualité électorale française dominée par la surenchère identitaire d’Eric Zemmour. C’est sur une ligne nationale-identitaire et anti-islam mâtinée de références historiques, défendue dans son ouvrage La Cause du peuple, que Patrick Buisson campe depuis des décennies, préconisant l’abolition du mur qui continuait jusque-là de séparer en France la droite et l’extrême droite. L’auteur, très critique sur l’emballement médiatique de la politique, est d’ailleurs aujourd’hui ouvertement favorable à une candidature de l’essayiste, qu’il aurait été, selon l’hebdomadaire Marianne, le premier à envisager dans ce rôle lors d’un déjeuner commun dès… 2015. Autre point commun entre les deux hommes qui se connaissent bien: leur ressentiment envers Nicolas Sarkozy, qu’ils accusent tous deux de n’avoir pas été assez ferme sur les questions identitaires lors de son quinquennat. Patrick Buisson est même devenu un ennemi juré de l’ancien président lorsque furent révélés par la presse ses enregistrements clandestins de conversations avec l’ex-chef de l’Etat dans le cadre de ses fonctions élyséennes. Il a d’ailleurs été, pour cela, condamné en 2014.
Au sommet de l’Etat, l’obsession de l’opinion
Buisson-Sarkozy/Buisson-Sondages/Buisson-Zemmour. L’affaire jugée à partir de ce lundi, même si elle n’implique en rien le polémiste qui flirte toujours avec l’idée d’une candidature présidentielle, est un portrait d’une décennie écoulée de politique française. C’est parce que l’opinion évoluait et qu’il voulait caler au mieux sur celle-ci l’action présidentielle de Sarkozy, en se rémunérant au passage, que Patrick Buisson a tant recouru aux services d’Ipsos ou d’Opinion Way, espérant que les dépenses du palais présidentiel ne seraient pas examinées en détail. C’est aussi parce que Patrick Buisson pressentait la nécessité de réinventer une droite dure, ancrée dans un récit national fantasmé, que ces sondages se sont multipliés.
«Face à l’offensive massive de dénigrement du passé national, il m’est apparu très vite que je pouvais contribuer à la nécessaire oeuvre de réarmement en faisant en sorte que le président puisse proposer aux Français des sujets de fierté légitime, des pages et des figures héroïques tirés de ce qu’il est convenu d’appeler, depuis Michelet, le «roman national» pour nous défendre contre toutes les entreprises de dissolution de la sociabilité nationale», expliquait-il lors de la sortie de son livre en 2016. Depuis, Eric Zemmour s’est mis à entonner ce refrain dans ses livres, puis sur les plateaux. Et preuve que l’obsession de l’opinion perdure au plus haut niveau de l’Etat, l’Elysée version Macron est accusé d’avoir dépensé, depuis 2017, des sommes énormes en études d’opinion. Pour l’heure sans accusations de surfacturation ou de détournement de fonds.
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